Une route semée d’embûches
Olivier Bachand
Plusieurs facteurs compliquent le travail des ONG en Afghanistan. L’insécurité, la présence militaire étrangère, la méfiance affichée par une certaine tranche de la population et l’insuffisance des fonds accordés à la reconstruction sont des réalités avec lesquelles les organisations doivent composer quotidiennement.
«Le terrorisme et la criminalité présentent un risque élevé pour les ressortissants étrangers, peut-on lire sur le site Web du ministère canadien des Affaires étrangères. De nombreux enlèvements ont eu lieu contre des Occidentaux, y compris des journalistes et ceux travaillant pour des organisations non gouvernementales.»
Malgré l’insécurité, plusieurs coopérants sont à l’œuvre en Afghanistan. Ils doivent toutefois prendre des précautions pour s’exposer le moins possible à des risques inutiles. Lorsqu’elle était en Afghanistan, la coordonnatrice de projets de Droits et Démocratie Alexandra Gilbert veuillait à ne pas reproduire de routine lors de ses déplacements. «Je ne sortais pas de l’hôtel chaque jour à la même heure pour me rendre au même endroit», explique-t-elle.
La discrétion est de mise pour les Occidentaux qui travaillent à la reconstruction du pays où vivent plus de 30 millions de personnes. «Notre bureau à Kaboul est super low profile, dit la coordonnatrice. Il n’y a pas d’affiches avec notre logo. Et les véhicules que nous utilisons, ne sont pas de gros 4×4, mais de petites Toyota.»
La capitale afghane est relativement sécuritaire, estime toutefois Alexandra Gilbert. «Le jour, il y a de la vie dans les rues, du trafic des marchés. On peut sortir s’acheter des kebabs ou manger une crêpe farcie au parc. Le danger, c’est d’être au mauvais endroit au mauvais moment.» Afin d’éviter les malheurs, et notamment les attaques-suicide qui surviennent lors de rassem-blements dans les rues, un réseau d’information envoie chaque jour des avertissements sur les menaces potentielles et les secteurs à éviter.
«Pour travailler en Afghanistan, il faut avoir la capacité de s’exposer à certains risques, dit sans amba-ges le juriste Benoit Turcotte, membre de l’Association internationale des avocats de la défense. Mais je n’ai jamais eu peur, car Kaboul était en quelque sorte une petite bulle, avec de nombreux postes de contrôle. Il n’y avait pas vraiment d’attaques terroristes quand j’y étais.» La situation a cependant changé depuis deux ans, affirme l’avocat. «Les talibans ont compris qu’ils auraient davantage d’impact en pénétrant à l’intérieur de la population et en s’attaquant à des ONG. Un nombre croissant d’organisations sont réticentes à envoyer leurs experts sur le terrain.»
Les soldats étrangers:
une arme à double tranchant
Quelque 47 000 soldats de 40 pays se trouvent actuellement dans la république islamique, réunis au sein de la Force internationale d’assistance à la sécurité, qui est sous le commandement de l’OTAN. Depuis 2001, plus de 18 000 combattants des Forces canadiennes ont servi dans le pays d’Asie centrale. Si la présence militaire semble nuisible à plusieurs égards, elle est aussi nécessaire, prétendent certains.
Pour Benoit Turcotte, la reconstruction de l’Afghanistan sans recours aux forces armées relève du fantasme. «Les militaires étrangers permettent aux organi-sations de continuer à opérer. Lors de mon premier séjour dans le pays, en 2005, il n’y avait prati-quement aucune route pavée. Aujourd’hui, les artères prin-cipales sont asphaltées, l’aéroport a été refait, l’implantation graduelle du système de justice a pris une sérieuse expansion et les infrastructures ont été rebâties. Cela n’aurait pas été possible sans la présence militaire.»
L’OTAN sécurise le travail des ONG, estime le spécialiste de l’Afghanistan Alain-Michel Ayache, professeur de science politique à l’Université du Québec à Montréal. «Sans la présence de l’alliance militaire, il est difficile de croire que les organisations pourraient bouger librement. L’OTAN leur permet aussi d’être aidées pour la livraison de matériel humanitaire.»
Les armées étrangères essaient trop d’épater la galerie, croit toutefois le conseiller politique Steve Cornish, de CARE Canada. «Le gouvernement et les contingents politico-militaires font des projets de développement dans des zones insécuritaires pour montrer les bénéfices qu’apportent les opérations de reconstruction des pays de l’OTAN, alors que des secours d’urgence seraient nécessaires, déplore-t-il. On saute l’étape du secours d’urgence dans l’est et le sud de l’Afghanistan.»
Par ailleurs, la participation des militaires aux activités de reconstruction crée une certaine confusion chez les Afghans. «La population a plus de mépris envers nous, car elle ne sait pas quel est le motif derrière nos actions», dit Steve Cornish. «Pour les Afghans, faire la différence entre les forces militaires et les travailleurs humanitaires enga-gés dans la reconstruction est un défi, ajoute Mirwais Nahzat, de l’Entraide universitaire mondiale du Canada.
Dans certaines régions, les gens soutiennent les ONG étrangères, alors qu’elles sont plus mal vues ailleurs.» Les ruraux seraient particulièrement plus réfractaires à la présence d’Occidentaux puisque leurs conditions de vie se sont peu améliorées depuis la chute du régime taliban, en 2001.
Canadien d’origine afghane, Mirwais Nahzat estime que les ONG locales, qui bénéficient de la confiance de la population et qui possèdent une bonne connaissance du terrain, doivent jouer un plus grand rôle dans la reconstruction du pays pour en assurer la réussite. «Les Afghans doivent s’asseoir dans le siège du conducteur», dit-il.
Les efforts consentis par le Canada sont insuffisants, croit en outre Benoit Turcotte. «Le pays n’en fait pas assez au niveau du travail de terrain et du développement des infrastructures.»
La corruption, très importante dans le pays, n’encourage pas les nations étrangères à se faire plus généreuses, explique Alain-Michel Ayache. «Tout l’argent envoyé n’atterrit pas néces-sairement à la bonne place. La corruption est telle qu’il est préférable de limiter l’aide à des sites bien déterminés. Dans de telles situations, l’argent ne coule pas à flots.»
Mais plus que tout, l’Afghanistan a besoin d’un engagement ferme des autres nations. «Après plus de 30 ans de destruction, de violence et de guerre, il faudra plus que quelques années pour rebâtir ce pays, dit Mirwais Nahzat. Il faut que le les ONG et la population canadienne s’engagent à long terme.»
Produit en collaboration avec le gouvernement du Canada par l’entremise de l’Agence canadienne de développement international (ACDI)