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j'ai un fabuleux instinct de survie
et je place automatiquement hors de ma portée
tout ce qui consomme mes ressources vitales
s'il me manque de temps
je commence par couper les contacts sociaux
puis les sports
à tort évidemment
pour favoriser le sommeil
puis l'amour des gens
puis l'amour de moi-même
puis un contrat à temps plein
avant de me couper l'âme
je me sens beaucoup mieux ce matin
avec du temps pour vivre
car je pense que sur mon lit de mort
je ne pourrais être que dans l'un de ces états
soit la folie
totalement déconnectée de la vraie vie
pour cause de manque de recul
soit la béatitude des souvenirs doux des gens
avec qui j'aurais partagé de beaux moments
dès que j'ai repris le temps de respirer
joblo m'a réconciliée avec les humains
et dans son zeitgeist
elle a également parlé du dernier article
de geneviève dans la revue espaces
je vous mettrai le lien en bas de page
en lisant l'article je me suis rappelée
de geneviève dans les vestiaires de la piscine
et comme ça fait longtemps que je n'ai ni couru ni nagé
je me suis brutalement souvenue de cette image
qui incarne un moment de rare beauté
celui où après une heure de chlore et une douche hâtive
elle apparaît devant le miroir avec la serviette autour du buste
et les cheveux essorés
pour appliquer soigneusement son crémeux mascara
sur les cils ornant ses yeux de biche
pour les faire ressortir de son visage à la peau laiteuse
quand je la vois faire cela
je suis toujours emportée par un élan romantique
où j'ai l'impression de voler ce moment fugace
où norma jeane se transforme en marilyn
pour aller conquérir le monde
vendredi matin donc en repensant à cette image
je suis partie à la chasse de la beauté
dotée d'un élan amoureux
de l'envie de séduire d'aimer
de regarder les gens dans les yeux
de sentir leur odeur
de leur faire des câlins
je sortais enfin de ma folie fatale
voici ce que j'ai trouvé beau
les dos de livres dans la bibliothèque du palace
cette pièce où règnent tant de sources d'inspiration
l'homme-chat dans son costard et ses beaux souliers
s'en allant à une réunion de la haute-direction
la langueur du chat brooklyn tapi dans la chaise de cuir
entamant un vendredi de royale paresse
la fille dans le métro à la peau brune mat
et au fard à paupière net dessiné en rose
le fin bracelet en or à la cheville d'une autre que j'ai croisée
les lunettes de soleil
les pommiers ou cerisiers en fleurs
embaumant le parc entre guy-favreau et le palais des congrès
et les personnes arrêtant leur chemin pressé
le temps de les prendre en photos
la ligne blanche sur le suède bleu foncé des souliers
de l'homme qui monte les marches devant moi
théo au bureau avec les lunettes à bordures rouges
sur sa peau café rwandais
qui mange du gingembre cru car il doit bien faire l'amour à sa femme
théo qui depuis notre déménagement hier est maintenant devant moi
et gesticule avec ses mains pendant qu'il parle au téléphone
sa boîte de lait d'amandes et de vitamines c sur son étagère
nabila l'indonésienne et ses yeux bridés maquillés
dans son beau visage ovale cerné de son hijab
shérine et hamida qui ont commencé leur jeun du ramadan
et font famine devant le soleil mais se gavent dès le coucher
et se lèvent avant l'aube pour se nourrir
tout en cuisinant le souper pour les enfants et la famille
et parce que le jeun est bon pour la santé
me conseillent de le faire en hiver
lorsque les journées sont plus courtes
car on a le droit de tricher
la beauté d'éric que je trouvais empêtré dans ses bottes d'hiver
il y a quelques semaines
et qui fait son 30k de ride de vélo de sa couronne nord
au terminus du métro et descend la ligne orange
puis saute dans la douche une fois dans l'édifice
pour ne pas empester ses collègues
le vase bleu de cristal de notre chef d'équipe
rempli de bonbons pour tous ses collègues
le merci de la cliente au téléphone
et le compliment sur le service d'excellence
la dame au bout du fil qui s'occupe de sa nièce
suite au décès de sa soeur
le livre sur les trucs de fiscalité si bien écrit
dont les paragraphes se dévorent comme les chapitres du roman
entre deux appels à l'agence
le soleil au sortir de l'édifice en fin de journée
la rousse assise proche de la fenêtre
au fard lilas identique à la couleur de ses montures
et de son rouge à lèvres
les cosméticiennes avenantes au jean-coutu
la caissière qui t'offre un sac en papier
les viennoiseries de la boulangerie du coin pour le lendemain
l'homme-chat qui rentre avec un colis
car il a commandé un chandail au uk
et que je l'aime d'être ainsi
la dégustation de deux sortes de chips qu'il me fait
en me mixant un fabuleux coquetel de son cru
la beauté de cet homme lorsque pour accompagner
une vulgaire pizza réchauffée
il débouche ensuite un bon vin
et même lorsqu'il débouche un bouchonné
les talons de chèque et les factures imposantes
du client dont je tiens les livres en fin de soirée
l'envergure du professionnalisme
toute la volonté humaine de bien faire
de vouloir plaire
d'être beau et gentil envers les autres
le respect
l'envie
le désir
beaucoup de belles choses à contenir dans une vie
quand on s'y attarde
et le temps qui redonne envie de voir tout cela
d'aimer
d'écrire.
l'article de geneviève dans la revue espaces.