Les répercussions du décès de Naomi Musenga, une jeune mère de famille dont la prise en charge par les services de santé n’a pas été optimale en termes de workflow RH, dépassent le cadre médical pour affecter aussi la profession journalistique.
Certains faits divers traversent les frontières du seul moment fatidique pour frapper leurs contemporains comme un poing dans la gorge. Que cette contagion du sentiment provienne de la nature de l’acte, de la personnalité de sa victime ou de celle de son responsable, la société toute entière s’en trouve elle aussi marquée et se doit de regarder ses plaies dans le miroir.
C’est le cas de de la mort de Naomi Musenga.
Naomi Musenga était une jeune, belle et vivante Strasbourgeoise.
Fin décembre 2017, prise de douleurs subites, elle avait par erreur composé le numéro du fan-club de Michel Leeb en croyant faire le 15. Plusieurs minutes ont été nécessaires pour régler le malentendu [1] et ce n’est qu’ensuite que Mme Musenga a enfin pu joindre un personnel de santé compétent.
Elle est morte à l’hôpital quelques heures plus tard.
L’interruption brutale d’une jeune vie ainsi que le talent des deux admiratrices du Vrai Humour de la France Vraie ont marqué les Français. Ceux-ci se retrouvent cependant impuissants devant le drame : que peuvent-ils faire si un tel quiproquo devait se reproduire ?
Rien. C’est pourquoi ils profiteront du long week-end pour préserver leur équilibre psychologique et parleront lundi de l’Eurovision.
Les services de santé et les media qui doivent relater cette sordide histoire seront cependant durablement affectés.
Agnès Buzyn, la ministre du Corps Patriote Sain, a d’ores et déjà promis un communiqué de presse ravageur. Certaines sources fiables à la salle de sports de l’Assemblée Nationale l’ont par ailleurs vue exercer son moulinet du bras en coordination avec les mouvements de la bouche, sans doute en préparation des prochaines questions au gouvernement.
Le problème étant résolu au niveau des institutions, restent les media, ces passeurs de connaissance, les véritables héros de la maïeutique citoyenne.
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Une langue en pleine évolution, hier.
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Et les media se voient contraints de bouleverser leurs habitudes, sans doute pour toujours.
L’usage veut en effet que lorsque la victime d’un fait divers est une femme on l’appelle par son seul prénom. Idem lorsqu’il s’agit d’un Noir.
Or Naomi Musenga était une Reun. L’application stricte de la tradition veut donc qu’on omette son nom parce qu’elle est une femme, et un second élément d’identification du fait de la couleur de sa peau. Il était par conséquent difficile d’écrire sur .
Si la tradition a été initialement respectée — quatre mois de silence ont été observés avant qu’un hebdomadaire alsacien peu au fait des usages parisiens, Heb’di, ne relate l’affaire — les media, pressés par l’opinion publique, ont finalement eu à parler de « l’affaire Naomi ».
C’est la première fois que la règle de la double négation identitaire est brisée en France, et force est de reconnaître qu’il s’agit là d’un curseur idéologique à la fois pour les féministes et pour les afro-descendants.
Si ce constat donne naturellement des sueurs froides au Bravepatriote moyen, il est source d’une angoisse existentielle pour le passe-plats moyen équipé d’une carte de presse moyenne : comment dorénavant traiter les faits divers concernant une femme ou une personne noire ?
Faut-il continuer à procéder par élimination et altérer peu à peu son identité jusqu’au néant en fonction de critères séculaires ? Ou bien faut-il au contraire adopter une approche bollocks-up et considérer le statut de femme noire comme un socle à partir duquel raconter l’histoire des humains ?
Cette dernière solution semble aujourd’hui être la plus proche du marché : les Noirs ne sont pas très nombreux à regarder l’Eurovision et il est probable qu’ils parlent encore de Mme Musenga lundi. Et ils sont beaucoup en France, ne trouvez-vous pas ?
Les salles de rédaction seront donc contraintes à considérer cette affaire comme un point de départ et devront se soumettre à une discipline drastique pour construire à l’avenir leur relation du présent : une femme noire, un prénom ; une femme blanche, un prénom et un nom ; un homme noir, un prénom et un nom.
Ce nouvel avatar de l’écriture inclusive est moins révolutionnaire qu’ils n’y paraît. Les Français non-noirs et non-femmes sont prêts, y compris les lecteurs du Figaro et les commentateurs du Monde : nous savons tous qu’une blanche vaut deux noires et que les hommes gagnent bien plus que les femmes (et il doit y avoir une raison à ça), et il ne serait pas si choquant que notre langue entre enfin dans le XXIe siècle.
Notes
[1] Les membres du fan-club de Michel Leeb mettent un point d’honneur à ne jamais dévier de leur ligne, contrairement aux pédales de Brave Patrie.