Mardi 1ermai.
Etape 1/3 : Fleurieux – Vals les Bains ; 340 km
C’est donc parti pour ce petit périple en moto et en solo. Les cols des Alpes étant fermés à 80% et la météo annoncée vraiment pourrie, j’ai décidé la veille de modifier mon parcours. L’idée est donc de rejoindre mon village natal, St Chinian, par les routes secondaires de la Loire, de l’Ardèche, des Cévennes et du Haut Languedoc. A vue d’œil un peu plus de 1100 km sur 3 ou 4 jours. Je n’ai réservé que la première nuit à Vals les Bains. Je pars avec une sacoche réservoir KTM qui contient un U, un litre d’huile moteur, la combinaison de pluie et les cartes routières. Ben ouais je suis un vieux moi, j’aime bien avoir une carte Michelin avec du stabilo dessus. Et un sac à dos de rando avec quelques vêtements de rechange. C’est parti. Je démarre à 9h10 de Fleurieux et descend à l’Arbresle gonfler les pneus. 2 bars à l’avant et à l’arrière. Le pneu avant est neuf, il n’a que 30 km, on y va doucement. J’ai remis du Sportec M7RR, la monte standard, dont le pneu d’origine a atteint 11700 km (le pneu AR ayant lui été changé à 8500 km)
Le brouillard s’estompe mais la pluie refait son apparition puis disparait le temps d’une accalmie à Bourg Argental. Pause déjeuner dans le seul bar ouvert du centre. La manifestation du 1er mai est terminée, les vendeurs de muguet s’éparpillent dans les ruelles comme autant d’oisillons aux ailes trempées.
Je suis transi de froid, et je conserve ma combinaison de pluie, commande un café allongé que je tiens dans mes mains, jouissant de la chaleur de la tasse contre ma peau. Heureusement que j’ai choisi de partir en gants d’hiver ! Après trois heures de pluie ou presque, j’apprécie cette parenthèse de chaleur. Les tables voisines parlent en arabe. Les conversations s’égrènent sur un ton doux, les visages des hommes paraissent détendus, heureux de partager un moment simple ensemble. L’un d’eux caresse les grains sombres de son chapelet posé sur ses genoux.
Après Lamastre, direction le Cheylard puis St Etienne de Valamas. La dernière fois que je suis passé ici c’était en courant l’Ultr’Ardèche en 2013 (course à pied non-stop de 216km sur goudron). Je repense avec un peu de nostalgie à cette époque où j’étais beaucoup plus coureur et beaucoup moins motard qu’aujourd’hui. Il y a toutefois quelque chose de rassurant à constater que les paysages changent moins vite que les hommes. Les humeurs passent, les panoramas restent. La pluie a décidé de s’accorder une trêve. La route s’accorde le droit de se présenter sèche et j’en profite pour augmenter le rythme. La combinaison du pneu neuf à l’avant ainsi que des nouveaux réglages de fourche et d’amortisseur arrière travaillés la veille se révèle aux petits oignons. La moto ne bouge plus, elle est rivée au sol et reste sur l’angle comme j’avais oublié qu’il était possible de le faire.
Une fois passé Fay-sur-Lignon je calme le rythme pour me lancer à l’assaut du Mont Mézenc. La D410, étroite se révèle bientôt cernée par le brouillard et comme je monte plus près du sommet par de la neige au centre de la route et sur les bas-côtés. Le froid me saisit et au sommet du Mézenc je ne m’arrête pas pour participer à la bataille de boules de neige qu’ont improvisé des promeneurs.
La redescente sur Les Estables est plus calme mais je repars sur le Gerbier de Jonc sur la D378. Les images de l’Ultr’Ardèche me reviennent en mémoire, voilà ici aussi cinq ans que je ne suis pas passé à cet endroit. Pour fêter ça, une neige fine et perturbée par le vent se met à tomber. Le temps d’une photo souvenir et je repars en direction de Ste-Eulalie. La D116 est tranquille jusqu’au Lac Ferrand et permet de retrouver un climat moins hivernal. Ensuite… Ensuite il y a environ treize kilomètres de pure folie. La descente jusqu’à Montpezat s/s Bauzon se révèle une authentique boucherie. Une orgie de virages où je pète un câble.
Après Montpezat il est temps de se calmer un peu. De toute façon la route que j’ai choisie ne prête pas aux hautes vitesses. La D343 entre St Pierre de Colombier et Juvinas est à la fois minuscule, défoncée et à pic. C’est la première fois que j’y passe en moto mais celle-ci aussi je me l’étais envoyée en courant lors des deux éditions de l’Ultr’Ardèche. Les morceaux de goudron ouvragés par le temps dessinent des mosaïques de couleurs disparates, et me reviennent en tête des souvenirs gravés en moi, de cette époque où j’étais ultra marathonien. C’est avec ce genre de fils temporels que notre mémoire tisse au gré des paysages traversés que l’on prend conscience des années qui défilent et des morceaux d’être humain qui mis bout à bout constituent celui que nous sommes.
Le ciel a décidé de se montrer magnanime et la pluie est partie s’intéresser à d’autres horizons. Je descends jusqu’à Vals les Bains avec une météo enfin clémente et presque ensoleillée en cette fin de journée. J’ai loupé la route pour Antraigues, tant pis pour moi, je coupe le contact devant l’hôtel après 340 km et la satisfaction d’une belle première journée malgré l’humidité et le froid.
Le soir je mange un repas léger au restaurant de l’hôtel. Peu de clients, thermalistes pour la plupart. Ambiance hors saison : les gens sont détendus mais réservés. Voyager seul intrigue autant que cela alimente l’imagination des gens. Plusieurs fois on me demande si je suis là pour le travail. Et face à la réponse négative que je fournis, je devine les regards étonnés, vaguement gênés peut être. L’âme humaine rêve de liberté.
Mercredi 2 mai. Etape 2/3 : Vals les Bains – St Jean du Gard ; 400 kmLa nuit a été réparatrice. Je suis frais et reposé au moment de remonter sur la moto un peu avant 9h du matin, après un bon petit déjeuner. Hier soir avant de dormir j’ai décidé de rallonger l’itinéraire prévu aujourd’hui. Les Gorges de l’Ardèche sont au programme mais je vais faire des détours pour les rejoindre. Après avoir quitté Vals les Bains, je m’offre un moment au réfrigérateur comme je grimpe le Col de la Chavade. La température chute brusquement et les virages serrés et rapides ne me réchauffent pas. Je monte à un bon rythme en enroulant, le goudron est irrégulier mais la route est large.
Comme la route redescend sur Largentière, les virages s’enchainent, la route se fait plus étroite et comble du bonheur, la température progresse. En quittant les altitudes, les arbres gagnent en densité sur le côté de la route. Je croise pas mal de cyclistes mais aucun motard. Etonnant car cette route qui tournicote à flanc de montagne s’y prête bien.
Gorges de l’Ardèche. En préambule un panneau immense représentant une moto surmontée de l’inscription « Trop d’accidents, prudence ! » annonce la couleur. La dernière fois que j’ai roulé ici, j’avais la Ducati JBT ; quinze années au bas mot, ça calme. Je repense à la Net Concentre 1999 et je cogite sur des souvenirs envolés avec une pointe de nostalgie qui fiche des vertiges dans le ventre. Je me dis que le temps passe décidément trop vite.
Les gorges de l’Ardèche sont désertes. Je ne croise que quelques rares voitures d’étrangers en balade. Lors d’un arrêt photo à un belvédère, je laisse passer un couple de septuagénaires Hollandais en Prius qui siffle. Chaque fois que je vois une Prius, je pense à Leonardo Di Caprio, sans savoir pourquoi.
J’ai un peu sommeil, la digestion est compliquée, alors je m’arrête à deux autres reprises pour profiter des points de vue. Et aussi pour me rappeler que le Grand Canyon rend toutes les Gorges du monde minuscules comme la gueule ouverte d’une souris.
C’est étrange, dans mon souvenir les Gorges de l’Ardèche étaient plus longues à parcourir. Un peu comme ces jardins que l’on voyait immenses étant enfant et qui deviennent étriqués lorsqu’on les retrouve une fois adulte.
Liaison jusqu’aux Vans. Je retrouve des souvenirs de différentes époques comme autant de petits cailloux semés dans ma mémoire envahie de fougères et de ronces. La route entre Villefort et les Vans fait partie des grands moments de moto partagés il y a dix-huit ans avec une bande de joyeux drilles. Itinéraire mythique dont la seule évocation suffit encore aujourd’hui à allumer le regard de ceux qui y ont participé. Je me fais une joie à l’idée d’y reposer les roues avec la Duke. Et après deux virages seulement, l’agilité de la KTM me confirme que le monocylindre y fait merveille. Le rythme est élevé sans jamais perdre le contrôle, dans mon souvenir j’avais souvent roulé ici un peu au-dessus de mes pompes à l’époque et pas forcément plus vite. Ou alors j’ai oublié, difficile de savoir.
Me voici à Alès où je cherche un petit peu ma route avant de me diriger vers Anduze, moment venu pour un café bienvenue après cette nouvelle orgie de virages. La moto est un jouet et le père Noël passe un 2 mai cette année. Je retrouve la folie de mes vingt-cinq ans. Décidément l’âge n’arrange rien aux pulsions de l’âme.
Je suis réveillé tôt. Les quelques douleurs aux cervicales ressenties la veille au soir ont disparu. Je règle la chambre puis je me mets en route. Il est 8h10, le temps d’un petit passage par le centre de St Jean du Gard pour m’offrir un café et un croissant. Un peu après 8h30 je m’élance pour la corniche des Cévennes toute proche. Je n’ai jamais roulé ici en moto ou alors j’ai oublié. Peu probable. Après une poignée de kilomètres, la route se fait viroleuse et le rythme augmente de façon irrémédiable. Encore une fois, presque pas de trafic et je roule quasiment seul. La route est sèche mais encore une fois la route monte et je dois m’arrêter pour enfiler une polaire. J’en profite pour prendre une photo de ces plateaux cévenols encapuchonnés de nuages obtus en lambeaux.
Col de St Pierre, Col de l’exil, entre deux courbes, les panoramas se chargent de dégradés de bleus, de nuances de verts. Avant d’atteindre le Col de Solpière, la route devient rectiligne, je ralentis et je profite de la vue sur les Causses à l’ouest. J’ai froid, les gants d’hiver restent de rigueur. Je m’engage sur la bien nommée D996 et amorce la descente sur Meyrueis où je m’offre un café. Un couple en Ducati Multistrada se prépare à prendre la route lorsque je repars via la D986 pour rejoindre le Mont Aigoual. Le vent se lève au fur et à mesure que je me rapproche du sommet. La dernière fois que je suis passé ici en moto je roulais en Africa Twin, voilà plus de douze ans. Arrivé à 1500 m d’altitude, le vent est démentiel et pousse des colères noires. Il souffle en tumultes ramassés et compacts, poussant la moto sur le bas-côté de la route comme s’il s’agissait d’une simple feuille. Sensation de fragilité absolue. Aussi je ne coupe pas le moteur et me contente d’un coup d’œil circulaire devant la station météo. De toute façon le panorama n’a rien de spectaculaire, la faute au plafond nébuleux qui conjugue les teintes obscures.
Je reprends le guidon. J’ai décidé de m’offrir un petit détour par le cirque de Navacelles. Petite marche jusqu’au belvédère pour une photo et je repars. Route de liaison étroite, la D25 permet de cheminer gentiment dans les paysages caractéristiques du Sud Larzac : herbes sèches et amas minéraux.
Ceilhes : la température chute à nouveau, la faute au vent glacial et à l’absence du soleil qui a préféré aller voir ailleurs. La montée du col Notre Dame est un peu perturbée par le mauvais revêtement. Au passage du col, changement de département entre Aveyron et Hérault. La D12 redescend jusqu’à Murat-s-Vèbre, en passant à quelques kilomètres du sommet des monts de l’Espinouse. Face à moi, les monts de Lacaune et leurs forêts de pins sombres affichent une solennité presque inquiétante sous un ciel confit de nébulosités confuses. Je traverse le barrage du Laouzas pour rallier la Salvetat sur Agout.
Cinq kilomètres d’une liaison nationale absolument abjecte et je quitte cet axe trop fréquenté et trop droit pour m’enfoncer dans les contreforts de la Montagne Noire.
La D920 est une route étroite, une de ces routes blanches sur les cartes Michelin, au revêtement parfois approximatif à cause des sévices hivernaux. La légèreté de la KTM se prête bien à ce genre d’itinéraire. Col de Serières, Ferrals-les-Montagnes, je longe la Cesse puis bifurque à l’ouest sur St Julien de Molières. La route se rétrécit encore comme on se rapproche de Minerve le long du canyon de la Cesse. Encore un itinéraire que j’ai déjà emprunté en courant à l’occasion d’un dimanche en famille dans le Minervois.
Petite pause photo au sommet d’une colline pour jouir du spectacle de la météo bipolaire : à l’ouest des nuages menaçants d’un gris intense à partir de la Montagne d’Alaric, à l’est, un ciel plus clément.
Je m’offre une pause éclair devant les vieilles pierres de Minerve encore au soleil.
La D907 va me permettre de remonter jusqu’à St Pons via Rieussec. Je me rallonge avec un aller-retour jusqu’à St Pons, seul endroit où je peux compter sur une station-service car je suis en réserve. Cette route entre Rieussec et St Pons est certes très roulante mais avec néanmoins quelques grandes courbes rapides où à défaut de la rigidité d’une Ducati, je peux quand même me faire plaisir.
Le bilan
L'itinéraire détaillé des 1252 km :
1 - L'arbresle => Le Bessat
2 - Le Bessat =>Saint Martin de Valamas
3 - Saint Martin de Valamas => Montpezat Sous Bauzon
4 - Montpezat Sous Bauzon => Lagorce
5 - Lagorce => Génolhac
6 - Génolhac =>Saint Sauveur Camprieu7 - Saint Sauveur Camprieu => Avène8 - Avène - Minerve9 - Minerve - St Chinian