Il est indéniable que celui qui a été imaginé par Emmanuelle Roy (ainsi d'ailleurs que les costumes d'une folle élégance de Jean-Daniel Vuillermoz) contribuent à installer l'atmosphère de la pièce qui se déroule sur deux époques, dans un atelier de peintre en duplex, situé à Montparnasse.
Je ne comprends d'ailleurs pourquoi il n'est pas nominé cette année aux Molières dans la catégorie création visuelle. Il apparait certes, mais pour saluer le travail de mise en scène de Ladislas Chollat qui, s'il obtient la statuette, ne saura jamais à quelle pièce il la doit puisqu'il est tout autant cité pour Le fils.
L'intrigue est assez complexe. Gabriel Orsini (Didier Bourdon) est un peintre renommé en pleine crise existentielle. Dans sa vie, tout fout le camp : faute d’inspiration, il ne peint plus depuis des lustres, malgré le soutien sans faille de Maxime (Thierry Frémont), son fidèle galeriste. Il ne supporte plus sa compagne Célia. Il en veut aussi terriblement à Abel (Pierre-Yves Bon), son fils unique né d’un premier mariage désastreux, d’être devenu trader à New-York… suivant ainsi la voie de Samuel Orsini, le grand-père banquier de Gabriel.
Né de père inconnu, et orphelin de mère (Elise Diamant), Gabriel a été élevé par Samuel, un grand-père austère et implacable, à qui il a toujours voué une haine sans limite. Or, à la veille de ses 50 ans, qu’il s’apprête à ne surtout pas fêter, Gabriel reçoit un cadeau inattendu de la part d’une mystérieuse artiste peintre, d'origine russe, Sacha Khlebnikov (Valérie Karsenti) qui était en vogue dans les années 60 : ce magnifique duplex en bordure de Saint-Germain des Prés.
Le décor tourne au fil des saisons, remontant le temps que l'on devine changer en découvrant les projections video à cour. Les acteurs ont un lieu magnifique pour évoluer dans la plus grande vraisemblance possible. Le spectateur a réellement le sentiment d'être invité chez eux. Ils ont tous excellents, avec bien entendu une mention spéciale pour Valérie Karsenti qui campe une Sacha mutine, intelligente, très touchante, en prenant à la perfection l'accent russe qui convient. Didier Bourdon interprète un Gabriel plutôt insupportable de mauvaise humeur au début de la pièce alors qu'il devrait se réjouir de recevoir un cadeau aussi somptueux. Il est aussi ce banquier Samuel qu'on découvre sincèrement amoureux de Sacha, et soucieux du bien-être de son petit-fils. Ce n'est sans doute pas aisé de passer de l'un à l'autre et le comédien le fait très bien.
Que Samuel ait traversé une période de dépression suite à la mort de sa fille (la mère de Gabriel) on peut l'admettre, mais je n'ai pas compris pourquoi il met fin à sa relation avec Sacha alors que sa femme ne semblait pas constituer un motif (Christine est gravement malade, internée, on ne sait pas pourquoi d'ailleurs, mais cela semble être très sérieux et il affirme aussi qu'elle n'est "plus dans dans tête et qu'il n'y a jamais eu d'amour entre eux"). Les amants se séparent alors même que le titre de la pièce, les Inséparables, les désignent à l'instar de ces oiseaux dont la légende dit que si l'un meurt l'autre est condamné à le suivre. Or rien n'est dit à propos d'un décès de Samuel. La mort de sa fille n'a pas du précipiter un suicide puisqu'il annonce qu'il se consacrera à l'éducation de son petit-fils. On peut supposer qu'il n'est plus en vie au début de la pièce mais sans en avoir aucune certitude.
Cette pièce est un puzzle que je n'ai donc pas décrypté, même après avoir lu le texte, y compris les longues didascalies. Le personnage de Celia (la compagne de Gabriel) est une totale énigme puisqu'elle n'est pas représentée sur scène et que quelques rares lignes font allusion à son existence. Par contre il aurait été très intéressant que l'histoire se répète, qu'elle soit peintre et maitresse de Gabriel.
Que Samuel quitte Sacha m'échappe totalement et que Gabriel (comme son galeriste Maxime) n'en ait jamais entendu parler ne plaide pas en la faveur du talent de cette peintre dont on nous dit qu'elle était en vogue dans les années soixante. Que Gabriel n'ait jamais entendu parler de sa mère est totalement insensé. Cela me semble irréaliste que Samuel ait voulu se consacrer à l'éducation de son petit-fils sans l'entourer d'amour.
Une chose est certaine : Samuel est culpabilisé par la mort de sa fille : Tout est de ma faute. (...) Vous m'avez déboussolé toutes les deux en me faisant croire que tout était possible.(...) On ne peut pas vivre comme ça sans discipline, sans garde-fou (...) ou alors on vit pour soi comme toi, sans attaches. Pour moi tout est fini.
En disant cela le vieil homme condamne Sacha, la rendant pour partie responsable de ce qui est arrivé, la contraignant au silence : là où tu es, tu ne m'entendrais pas.
D'autres confusions existent avec les années. Quand l'action se déroule "cinquante ans auparavant" c'est en fait en 1958, donc "aujourd'hui" serait il y a dix ans.
La seule logique de l'histoire est que Sacha léguerait le duplex à Gabriel par fidélité à son amant et à la fille de celui-ci avec qui on note qu'elle a sympathisé au cours du quatrième tableau, comme si elle en avait été une sorte de mère de substitution. Elle rend en quelque sorte à la famille un bien dont elle fut un temps dépositaire.
Malgré les questions qui se posent sur la logique du déroulement cette pièce est un petit bijou qui beaucoup à l'interprétation des comédiens.