Sistership...
Comme elle est belle !
Je l'ai rencontrée sur catalogue. Son père m'a montré une photo de sa sœur. J'avoue avoir hésité. Plusieurs étaient jolies et semblaient pleines de qualités. Mais j'ai opté pour celle-ci. Avec son franc-bord élevé, sa tonture marquée, sa coque pas trop plate, elle semblait plus marine, prête à affronter les vagues et un vent grincheux sans mouiller son marin. Une jolie barque pour laquelle j'ai commandé une robe blanche à l'extérieur, grise à l'intérieur, pas salissante.
Pour le moteur, dilemme. Hors-bord, à l'européenne, avec un arbre coudé, ou bien "long tail" ? Le long tail, c'est un bête moteur dont on prolonge directement l'arbre jusqu'à l'hélice. A Bangkok, j'ai vu des moteurs de voitures énormes, des V8 montés sur des barques. Avec échappement libre… et la fumée… L'hélice attaque l'eau selon un plan un peu incliné au bout d'un arbre immense - la longue queue qui produit un beau panache d'écume comme la traîne d'une comète.
J'ai choisi un 13cv Honda dont j'ai vu qu'il était utilisé dans des scieries dans l'Ontario, des tondeuses dans le Connecticut, des karts aux Émirats, des nettoyeurs haute pression au Pakistan, des pompes à eau en Inde... Il y a une version inox pour la mer. Monté en long tail, il est très utilisé par les pêcheurs locaux, et sa revente sera simple. Il pèse 33 kg à vide, comme un hors-bord de la même puissance à refroidissement à air - il n'est donc pas très lourd.
Pas bruyant en image... et dans la réalité
La question des avirons n'est pas simple : ici, les gens se fient exclusivement à leur moteur. Il faut donc que j'en commande du côté d'Ayutthaya, l'ancienne capitale de l'empire, car dans cette région couverte de marais, on en fabriquerait encore. Le problème, c'est qu'ils ne font que des tailles minuscules, pas au-delà de 1.8 mètre, alors qu'il faut 2.2 mètres minimum. Vais-je être obligé d'en apporter dans ma valise ?
Je n'ai pas pu résister. J'ai demandé au constructeur de fixer à la verticale un bout de tube de PVC dans de la résine à l'avant du bateau, contre le coffre : une parfaite emplanture pour un mat de planche ou une tige de bambou sur lesquels j'enfilerai une vieille voile. Le fabriquant trouvait l'idée sympa, on ne lui avait jamais demandé. Il est vrai qu'on ne voit jamais de voiles sur l'eau, ici. Comment faisaient-ils autrefois ? Le mot voile existe pourtant, c'est baï leua, feuille de bateau - comme une feuille d'arbre.
J'ai dit au constructeur que je ne pourrai faire que du grand largue et du vent arrière, et il m'a tout de suite proposé de fabriquer un petit safran en résine. L'idée est bonne - on verra pour la réalisation. De toute manière, je n'aurai pas de dérive, juste une pagaie que j'enfoncerai sous le vent. Alors le près, ce sera forcément : "une fois la route, deux fois le temps, trois fois la grogne".
Pour la ligne de mouillage, on ne trouve ici que des ancres plates. Elles sont efficaces dans le sable mais médiocres dans les rochers. Il faudra aller la vérifier en plongeant. Dans l'eau à 28°, ce n'est pas trop pénible.
J'ai demandé qu'on prévoie quatre trous pour installer un toit en toile. Je verrai si j'en ai vraiment besoin. Je n'ai pas l'intention de rester pêcher des heures sous le soleil - je ne pêche pas. Mais pour la chasse et le snorkeling, il y aura une échelle en inox à l'arrière avec un seul longeron, de manière à pouvoir remonter avec des palmes.
Échelle à (hommes -) grenouilles. Il suffisait d'y penser.
La longueur que j'ai choisie permet encore de charger le bateau sur le plateau du pick-up, même s'il va largement déborder. En l'arrimant bien et en roulant régulièrement, on devrait pouvoir le transporter sur des longues distances. Mais pour le monter et le descendre, je n'ai pas encore de solution. Il faudrait une rampe, un treuil et des rouleaux, ou quatre bonnes volontés musclées.J'ai demandé au chef du village si j'avais le droit de mettre un corps-mort devant la maison pour mouiller le bateau. Il m'a répondu qu'il n'y avait aucun problème. Quand on voit le bordel que c'est en Bretagne ! Je le mouillerai tête et cul, ça devrait tenir. Avec un marnage d'un mètre cinquante, il n'y aura pas trop de mou dans les aussières. Et je l'aurai devant les yeux en permanence - de ce bureau où j'écris maintenant.
Quand j'en serai complètement propriétaire, je devrai le déclarer aux affaires maritimes. Je devrai passer un petit examen théorique, genre balises et signaux. Il parait que j'aurai un an pour le préparer - avec le droit d'utiliser le bateau pendant ce temps. C'est un peu étrange mais sympathique...
Dans huit jours, la coque sera moulée et j'irai la voir - juste pour le plaisir. J'ai hâte...
Ici, les mats servent à tenir les perches couvertes de lampes : on pêche l'encornet au lamparo - on a le droit.