© Elisabeth Carecchio
Critique de Bérénice, de Racine, vu le 9 mai 2018 au Théâtre de l’Odéon
Avec Clément Bresson, Marie Fortuit, Mounir Margoum, Mahshad Mokhberi, Mélodie Richard, Hakim Romatif, dans une mise en scène de Célie Pauthe
Je ne vais pas mentir : Célie Pauthe n’est pas un nom qui résonne avec beaucoup d’enthousiasme dans mon esprit. Et pourtant, je n’ai jamais rien vu de la metteuse en scène. Simplement, il est associé au nom de Christine Angot, puisque leur collaboration a donné lieu à un spectacle l’an dernier, déjà à l’Odéon. Mais après tout, j’ai moi-même beaucoup aimé un spectacle de Christine Angot cette année ! Comme il ne faut pas mourir bête, et que mon cher Racine commençait à me manquer, je me suis finalement décidée à découvrir l’avant-première de ce spectacle.
En tête, j’ai l’enregistrement de la Bérénice de Raymond Rouleau dans laquelle Laurent Terzieff et Danièle Lebrun formaient un couple déchirant. La comparaison sera difficile à soutenir. Il était un Titus tiraillé entre la passion et l’amour, lui dont le peuple ne peut admettre qu’il épouse cette reine qui pourtant habite son coeur. Tout au long de la pièce, il oscillera entre la raison et l’amour. Il reviendra vers elle, ne pouvant soutenir ses regards et ses pleurs, puis se détournera à nouveau, lourd du poids du pouvoir qu’il doit à présent incarner.
J’ai beaucoup à dire sur ce spectacle, du bon comme du moins bon. Mais avant d’en extraire et d’en analyser chacune des facettes, il faut que je parle de Mélodie Richard, parce que sans elle, le spectacle aurait beaucoup moins de saveur. Il faut que je parle de Mélodie Richard parce que quand j’ai lu l’article du Monde évoquant sa formation de boulevard, j’ai douté. Il faut que je parle de Mélodie Richard avec la passion d’une première fois, avant de la retrouver au théâtre pour toutes ses futures apparitions. Il faut que je lui rende ce qu’elle m’a donné.
Je ne pense pas être quelqu’un de défaitiste, mais je me rends compte qu’il y a des choses sur lesquelles j’ai fait une croix de manière presque inconsciente. Par exemple, je ne pensais pas de mon vivant pouvoir rencontrer une véritable Bérénice. Pouvoir visionner la merveilleuse captation de Danièle Lebrun me semblait déjà une grande chance. Mais Mélodie Richard est entrée en scène. Cette comédienne me redonne espoir. Je repense aux rôles féminins qui me semblent impossible à monter. Elle serait une Chimène extraordinaire.
De Bérénice, elle a tout trouvé, elle a tout composé, elle a tout compris. A la fois moderne et antique, reine imposante dans cette tunique longue qu’elle porte avec tant de grâce, jeune femme amoureuse dans les regards qu’elle lance à Titus, elle incarne la passion avec une justesse rare. Naïveté du premier amour, fierté de l’être aimé, fraîcheur de jeune femme amoureuse, léger orgueil de femme trompée, tout y est. Lumineuse, elle chante son alexandrin sans le marquer outre-mesure et cette sincérité se retrouve dans chacune de ses notes. Simplement, elle donne vie sur scène à la douleur de cette amante blessée.
© Elisabeth Carecchio
Malheureusement, autour d’elle, la distribution n’est pas aussi exemplaire si bien qu’on en vient rapidement à souhaiter sa présence illimitée sur scène. Ses deux prétendants, en effet, sont bien pâles à côté d’elle. Clément Bresson est un Titus limité par une gestuelle répétitive, ses bras montant régulièrement au ciel dans un geste qui pourrait signifier « Tant pis » autant que « O Dieux ! » et je cherche encore des traces de son amour quelque part sur la scène. C’est à se demander comment Bérénice peut être aussi amoureuse de lui. Antiochus, quant à lui, ne semble pas disposer d’une once d’espoir. Sur le visage de Mounir Margoum, les intentions semblent claires : il n’y croit pas. Cela jure avec un texte qui passe par des montagnes russes de sentiments torturant ce personnage dont la raison est sans cesse trahie par un coeur trop amoureux.
Chose désagréable, les deux comédiens récitent leurs alexandrins de manière presque scolaire, le premier en en marquant chaque séparation, le second les ronronnant excessivement lentement jusqu’à nous perdre. De plus, Célie Pauthe semble avoir totalement dédaigné les personnages secondaires, qui, dans Bérénice, n’en sont pas réellement, ils ont une véritable existence : Arsace est le surmoi de Titus, pas simplement son confident. Or, ici, il est devenu complètement transparent. Quel dommage.
Devant un tel disparate dans la direction d’acteurs, j’en viens à questionner la portée du travail de Célie Pauthe. Où est-elle réellement intervenue ? La composition de Mélodie Richard tient-elle plus de l’instinct que de l’influence directe de la metteuse en scène ? La question reste ouverte. Cette disparité se retrouve d’ailleurs dans la mise en scène qui comporte quelques belles idées voisinant d’étranges lubies. Les intermèdes cinématographiques montrant le Césarée de Marguerite Duras en sont pour moi le témoin le plus marquant : le seul intérêt qui en ressort est de souligner la supériorité de Racine sur Duras. Dans la famille « caution intello » (ratée), je demande aussi la soudaine apparition du Recueillement de Baudelaire entre l’acte 4 et l’acte 5. Hors-sujet total.
Pourtant, j’ai aimé son parti pris de laisser de côté les codes de la tragédie pour se placer dans un temps peut-être plus quotidien. Si les rires qui ponctuent certaines répliques marquent une faiblesse évidente sur scène, le choix est intéressant. La première scène liant les deux amants évoque plus Marivaux que Racine dans les échanges tactiles ou les regards qui lient Titus et Bérénice, et cette vitalité-là étonne autant qu’elle émeut. C’est dans la simplicité que Célie Pauthe réussit le mieux : comme pour ce décor, fixe et imposant, qui évolue à son rythme, sans soulignements excessifs, mais avec une beauté certaine. Comme pour des petits détails glissés par-ci par-là, sans arrogance, et qui viennent souligner tantôt l’orientalité de Bérénice, tantôt son universalité, ou la fatalité de son destin.
Si la Mélodie est racinienne, le rythme l’est bien moins.
© Elizabeth Carecchio