Lucy Glendinning singularités et anticipations
Lucy Glendinning, art contemporain, sculpture, narration, installation, Galerie Da-End | Publié par Thierry Grizard le 8 mai 2018 pour artefields.net
Aphorisme visuel et poésie
Lucy Glendinning, (née en 1964, elle travaille et vit en Angleterre), dans de très nombreux interview ne se positionne pas exactement comme sculptrice ou même plasticienne, ni tout à fait comme une artiste visuelle. Elle explique, à l’envi, que son point de départ n’est pas une impulsion idiosyncrasique mais une réflexion, une pensée alimentée par son intérêt pour les nouvelles technologies, notamment dans le champ de la médecine et de la génétique. Elle ne part donc pas d’une compulsion artistique, du fantasme ou l’imagination pure, elle développe une réflexion — souvent exprimée en premier lieu à travers un poème — sous forme visuelle, à la recherche d’une expérience propre à solliciter le regardeur/spectateur/visiteur/amateur d’art. Sa réflexion est donc aphoristique ou poétique, il n’y a pas de discursivité. Elle utilise la statuaire, c’est-à-dire la représentation du corps humain en tant que matériau, car il lui permet de figurer sa pensée dans d’étranges êtres singuliers exposés aux regards et mis en situation, qui sont comme l’aboutissement prospectif de ce que la méditation « poétique » a initié.
© Lucy Glendinning.
Engendrements et singularité
Alors que Duane Hanson, puis Ron Mueck ont recherché la disruption provoquant des effractions du réel en « déterritorialisant » leurs sujets de prédilection, chez l’américain la réalité sociale, chez l’australien des moments d’existence cinématographiques à la Carver, Glendinning n’utilise formellement l’hyperréalisme que de manière incidente, mais en retenant tout de même de la sculpture hyperréaliste un de ses fondements essentiels, à savoir le surgissement de singularités.
En effet, le mimétisme des sculptures dans l’hyperréalisme a pour but premier d’introduire l’altérité. Duane Hanson projette du social brut dans des lieux qui lui sont étrangers, il provoque un questionnement conduisant à bousculer le confort intellectuel des élites. Ron Mueck expose des êtres en proie au poids de l’existence et place le spectateur en situation de voyeur involontaire, il inverse la relation, l’indifférence de ses personnages — sans évoquer les rapports d’échelle — impose au visiteur le rôle d’intrus.
© Lucy Glendinning.
Dans la foulée de ces deux maîtres de la statuaire hyperréaliste, bien d’autres artistes ont exploité la même voie en y incorporant des variations parfois drastiques. Sam Jinks développe le chemin des hybridations, des altérations. Patricia Piccinini, depuis des décennies, donnent réalité à des rêves éveillés exposant l’étrangeté du quotidien ou l’aberration des « utopies » technophiles. Choi Xooang, entre autres, utilise l’hyperréalisme des textures, de l’anatomie, en un mot du détail, pour donner corps aux pires cauchemars de la déréliction.
Un des traits communs de ses démarches disparates réside dans l’engendrement de singularités. La sculpture hyperréaliste ne travaille pas les formes ou le mouvement, elle met en scène, enfante une autre réalité qui produit des singularités spatio-temporelles, des ruptures du tissu de la réalité. D’ailleurs, ce procédé de rupture « narrative » doit beaucoup, depuis son origine picturale, à la photographie et le cinéma. Lucy Gledinning est une des héritières de cette démarche, elle utilise la figure, le corps anthropomorphique comme un médium qui trouve son aboutissement dans un lieu, autant dire un moment de l’espace, d’où elle tente de faire surgir des singularités, des nœuds irréductibles qui ouvrent de nouvelles perspectives.
© Lucy Glendinning, The thoughts I tried to keep, 2015.
Le corps comme médium
L’expression « poétique », (ce qui émeut par le charme, le mystérieux), à travers la manipulation du corps humain est patente quand Lucy Glenddining le montre, de manière très explicite, dans ses séries sur les enveloppes épidermiques (Skins) et les corps en cours de liquéfaction (Distortion). Alors que Sam Jinks ou Choi Xooang maltraitent le corps humain pour parvenir à un certain pathos, l’artiste anglaise poursuit ses réflexions métaphoriques en forme de « sculptures » plus ou moins dystopiques. C’est ainsi qu’elle file l’image de l’enveloppe corporelle jusqu’à en donner l’apparence d’une poupée gonflable affaissée, ou d’individus qui se délitent par liquéfaction. Le corps ne sera plus, nous dit-elle, dans un temps peut être pas si lointain, qu’un véhicule pour, sinon l’âme, tout du moins la conscience comprise comme datas « numérisables » et enregistrables dans une mémoire elle-même dématérialisée sur le réseau. Ces séries, plus explicites que les Feather Child, soulignent bien le procédé qui consiste à partir d’une idée, plus ou moins documentée, pour parvenir à son expression sous forme d’aphorisme visuel, qui n’est pas pour autant une illustration ou une allégorie.
© Lucy Glendinning, série « Skins ».
© Lucy Glendinning, « Folding Girl », 2010.
Angoisse et empathie
Concernant les êtres de Lucy Glendinning on a souvent évoqué l’Unheimlich, (l’inquiétante étrangeté), conceptualisée par Freud. En effet, les petits — les figures de Glendinning sont la plupart du temps de petites tailles, et d’apparence juvénile — êtres trans-espèces et transgenres de l’artiste peuvent susciter par le spectacle de leur altérité l’angoisse de ce qui n’est plus complètement identifiable. Or cette rupture de la congruité du réel amène donc, selon la psychanalyse freudienne, un retour du même mais sans sa représentation d’origine ce qui est propre à ouvrir, dans l’écart ainsi produit, l’intrusion diffuse et incompréhensible du refoulé.
Cependant, pour Lucy Glendinning, à l’inverse de Berlinde De Bruyckere par exemple, (qui est une de ses sources d’inspiration), la mise en scène de l’étrange se situe plutôt du côté de la douceur, d’une forme de fantastique proche de certaines productions cinématographiques, en particulier la Nuit du Chasseur ou la Belle et la Bête. Il y a comme chez Cocteau une expérience poético-fantastique de l’altérité qui oscille entre la fascination, l’empathie, la curiosité et l’inquiétude de l’inconnu. Toutefois, comme dans la Nuit du Chasseur (Charles Laughton, 1955), les ténèbres enveloppent tout et ne cessent d’être menaçantes. Alors que « l’inquiétante étrangeté » procède de la béance de ce qui s’entrouvre en soi même, chez Glendinning le rapport penche davantage vers la relation à l’autre dans la différence inquiétante qu’il nous impose. Un autre qui est, bien entendu, une projection — anticipatoire dans le cas de Glendinning — anthropomorphique et donc intime, susceptible d’éveiller le retour insidieux du refoulé.
© Lucy Glendinning, « Feather Child 6 », 2013.
Les singularités emplumées de l’artiste anglaise sont pour l’essentiel des enfants, ils sont fréquemment plongés dans le sommeil, lovés en position fœtale. Ils paraissent inconscients de leur environnement, exposés aux regards, comme aux dangers, c’est pour la plasticienne un moyen très efficace de générer chez le visiteur de l’inquiétude — par conséquent de l’empathie — pour la sécurité physique du petit être présenté sans le moindre égard.
Au Salon Art Paris 2016, Lucy Glendinnning avait poussé cet effet à l’extrême en couchant un de ses personnages à même le sol, en péril constant et pourtant totalement ignorant des dangers qui le guettaient. Par ailleurs, ces petits êtres sont gracieux, délicats, raffinés et paisibles ils suscitent la sympathie immédiate, puis vient le moment de les définir, c’est-à-dire de les identifier, dès lors la perplexité fait son chemin, c’est précisément le but de Glendinning. Elle s’efforce avec ces « poèmes » visuels, sous forme de mises en scène, de provoquer un double mouvement entre le sentiment d’altérité, voire de malaise et l’empathie, un cheminement qui est également celui de la réflexion et la connaissance.
© Lucy Glendinning.
Feather Child 1
Will we be able to resist it?
Of course not, I say.
The endless opportunity
to better our future,
to improve the human race,
and solve the endless
problems of more.Will we be able to resist it?
Once we have cured the sick,
to improve the well,
what fun we’ll have
making useful modifications
improvements and special vocations.Will we be able to resist it?
A decoration applied with
a gene, not a needle.
To breath under water
Wouldn’t that be useful,
or to fly who could resist that.
To be special we all want it,
once we are no longer a child.Will we be able to resist it?
Is evolution ours now?
Will it be like most,
money will buy the prize?
You will need to be
something like a Rothschild
to be able to fly.
Or to glow in the dark
a Geldof or a Spark.
Is it about to change,
are we to be in charge?Lucy Glendinning
Lucy Glendinning
Only human
Galerie Da-End
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Patricia Piccinini
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