Depuis les années 1980, la recherche de pouvoir de l’État s’est accompagnée de la création de multiples agences et structures sanitaires mais aussi, et surtout, de l’autonomisation imposée de l’assurance maladie et de l’institutionnalisation des assurances complémentaires. Les pouvoirs normatifs et budgétaires ont ainsi volontairement été fragmentés rendant alors délicate une approche globale des problématiques sanitaires et médico-sociales.
La démultiplication des déserts médicaux
Pourtant, le constat est alarmant : plus de 6 millions de nos concitoyens vivent dans un désert médical, l’hôpital public connaît la crise financière et sociale la plus profonde de son histoire, les EHPAD sont en surchauffe, l’accès pour tous aux innovations technologiques et bio-thérapeutiques est menacé. Et ce alors même que le système n’a jamais compté autant de praticiens depuis sa création (+4,5% de croissance en nombre entre 2012 et 2018).
La problématique de l’accessibilité aux soins de premier recours, bien connue des journalistes, émerge dans l’agenda public à la faveur de la réduction annoncée de l’offre de soins, au début des années 2000. En deux décennies, le mode d’exercice des médecins généralistes s’est profondément modifié : Le « cliché » d’un médecin généraliste d’aujourd’hui serait une femme de plus de 60 ans, salariée d’un cabinet, travaillant à temps partiel.
Cette description s’inscrit dans un contexte où les besoins en soins augmentent, notamment en raison de l’explosion des maladies chroniques et du vieillissement de la population, alors que les médecins généralistes sont moins nombreux et que la volonté des patients est de moins recourir à l’hospitalisation (virage ambulatoire).
Les déserts médicaux font depuis l’objet d’une forte médiatisation. Pointée du doigt, l’inégale répartition des médecins généralistes sur le territoire mobilise fortement l’opinion publique et la profession. Sans nier l’existence d’authentiques zones sous-dotées, et sans en relativiser l’impact pour les populations concernées, les études, bien que régulièrement affinées, peinent pourtant à décrire une réalité qui colle au vécu des usagers, élus et professionnels du soin, dans les territoires concernés.
La défaillance de l’approche budgétaire sur la question des territoires
Les problèmes posés par l’existence de déserts médicaux figurent en bonne place dans l’agenda des pouvoirs publics. Pour autant l’efficacité des mesures prises peine à produire des effets significatifs. Ceci prend un relief particulier dans les territoires ruraux où les déserts médicaux s’inscrivent dans un contexte profondément marqué par des problématiques du vieillissement et du développement socio-économique local.
Les Français, pour leur part, se montrent très attachés au système de santé bâti à partir de 1945. Le formidable essor des médecines thérapeutiques et des équipements a propulsé la médecine dans la sphère médiatique tandis que dans la France entière, des villes petites, moyennes, mais aussi des métropoles cherchent désespérément des médecins généralistes.
C’est bien tout notre système de santé solidaire qui se désagrège. Ce résultat n’est pas le fruit du hasard mais celui de plus de vingt ans de politique de santé marqués par une approche purement gestionnaire (plus soucieuse de rétablir l’équilibre financier de la branche maladie de la Sécurité sociale, que de la santé des Français) et par un renforcement du poids de l’administration sur le système oubliant volontairement la vision globale et d’avenir.
Appliquer une approche économique à un service public conduit à ne garder ouvert que les lieux de soins rentables. Ce n’est donc plus un service public de santé, puisqu’il n’est plus accessible à tout le public, géographiquement comme financièrement
Pour lutter contre la désertification médicale, et en contradiction même avec ce qui précède, les mêmes erreurs se répètent : l’ORS (tout comme le récent rapport Borloo) dresse les actions mises en place ou envisagées pour améliorer la situation : augmenter le nombre de professionnels alors que la France ne manque pas médecins , attirer et fidéliser les médecins dans les zones déficitaires (avantages monétaires et fiscaux à la clé), développer la digitalisation de la médecine (télémédecine/auto- consultation qui devrait entrer en vigueur le 15 septembre 2018), soutenir les initiatives locales comme les maisons de santé ou diversifier le profil des professionnels (près d’un nouveau médecin sur quatre est titulaire d’un diplôme obtenu à l’étranger).
L’Agence régionale de santé (ARS), bras armé de l’état, propose d’instaurer des « zones d’intervention prioritaire » et le maintien de l’Assurance Maladie. La Région Île-de-France a, elle, adopté une stratégie régionale en ce sens en septembre 2017, avec pour objectif de redonner envie aux médecins de s’installer et d’exercer, et plus spécifiquement dans les secteurs désertés.
Parallèlement l’ARS vise à réduire le nombre de secteur de garde dans un soucis de réduire le coût des gardes libérales : autrement dit réduire l’accès aux médecins de garde pour mieux encombrer les urgences : l’actualité de ce mois est à mettre en parallèle avec l’étude de l’Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore) parus en mars 2018, portant sur plus de 40 000 personnes, et qui relèvent de leur côté 22,4 % d’assurés qui ont renoncé aux soins au cours des 12 derniers mois.
L’érosion progressive de la légitimité du politique
Les installations publiques favorisent le choix et l’installation des généralistes. Mais une prime ne suffit pas à motiver un médecin si celui-ci n’a aucune infrastructure à proximité pour le soutenir et le relayer dans l’exercice de sa médecine. Le désert médical prend racine dans le désert des hôpitaux publics, dont la disparition est suivie de la fermeture des cabinets et du non remplacement de ces derniers.
Un seul exemple : Comment recevoir une radio dématérialisée quand la connexion est trop lente ou inexistante (la fracture numérique) ?
Une approche systémique, prônée par l’Institut de santé cherche à mieux répondre à cet objectif de refondation du système de santé en proposant un triptyque de réformes structurelles :
- La gouvernance : sortir de la logique étatique et la confier aux représentants des acteurs du système,
- L’organisation des soins : refonte des ordonnances de 1958 visant à reconstruire un modèle ambitieux de centre hospitalier universitaire jouant un rôle important en enseignement et dans la recherche mais dans un fonctionnement plus ouvert et collaboratif, avec la médecine de ville et selon un modèle de spécialités choisies (et non plus généraliste),
- Le financement solidaire : une nouvelle assurance maladie composée d’un régime unique universel de santé marquant le passage à une protection sociale universelle assise sur la personne et non plus sur les statuts professionnels.
Le financement privé serait organisé selon les principes d’un modèle mutualiste concurrentiel régulé. Ce système fonctionnerait sur les bases d’une affiliation exclusivement individuelle pour toute la population (actifs et inactifs). La création d’un contrat homogène standard permettrait de comparer efficacement la performance des opérateurs. L’assurance santé sera régulée de façon à éviter toute sélection de risques par les opérateurs, à travers notamment l’utilisation de données personnelles de santé de plus en plus abondantes avec la santé numérique.
Ce qui pourrait paradoxalement renforcer le rôle du pouvoir politique et conduire l’assurance maladie universelle à se rétracter au profit d’une protection sociale privée d’entreprise !
Mais la redistribution des pouvoirs y serait particulièrement complexe et pourrait inciter l’état à transformer une réforme nécessaire du système de santé en un simple toilettage.
Patrick Hegly
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