Au milieu des années 1930 que peut faire de ses nuits un jeune homme à la fin de son engagement pour cinq ans dans la Marine? Écrire des lettres à celle pour laquelle son coeur s'enflamme, écrire ses souvenirs dans un cahier pour leur donner une forme:
Mon quotidien de caserne m'offrait de longues et fréquentes nuits de veille solitaire, sous les étoiles, à la lueur des lampes, et d'assez larges espaces d'imagination pour incendier ma plume.
Emmanuel Morales s'est engagé dans la Marine à dix-huit ans. Il entre dans sa vingt-troisième année. Il est originaire de Saïda, au sud d'Oran. Il a réussi son brevet de radiotélégraphiste et vient d'être affecté à Bizerte, pour ses derniers quinze mois de service.
Berthe, qui a son âge, lui a écrit une lettre dans laquelle elle lui a dit sa hâte de faire une autre promenade dans la colline en [sa] compagnie, lors de [sa] prochaine permission. C'est le début d'une longue correspondance amoureuse, entre deux êtres qui diffèrent:
Tu voulais dompter les vagues, et moi jeter mon ancre dans une anse tranquille...
La mère d'Emmanuel est morte le jour où elle donne naissance à un cinquième enfant qui ne survit pas. Emmanuel a tout juste quatorze ans ce 23 octobre 1927. Son père, Vicente, fait la connaissance d'Elvire, sa future épouse, deux ans plus tard.
Elvire est veuve. Elle est la soeur de Manuela, la mère de Berthe, laquelle a épousé Alphonse Salinier, un ami très cher de Vicente... Les Morales, Vicente et ses quatre enfants, rendent souvent visite aux Salinier dans leur ferme de Tiaret, à l'est de Saïda.
L'un des camarades d'Emmanuel, Bouboule, s'est esclaffé quand il l'a surpris à écrire dans son cahier: Raconter la vie de caserne, les tours de quart et les cuites du patron... Est-ce que quelqu'un lira ça? Il faut croire que oui, puisqu'on en lit volontiers le récit.
Mais on lit aussi avec bonheur l'évocation des chansons de l'époque (de Tino Rossi ou de Lucienne Boyer), des tangos latino-américains, des livres que l'on lit (de Delly ou de Francis Carco), des films que l'on voit (d'Anatol Litvak ou de Marcel Lherbier).
Ce qui est intemporel, c'est l'attachement d'Emmanuel à la terre d'Afrique du Nord où il est né et où se trouvent ses racines. Cet attachement est peut-être d'autant plus grand qu'il est un marin d'eau douce: J'ai le mal de mer et je n'ai jamais aimé les bateaux...
Francis Richard
Nuits incandescentes, Sophie Colliex, 270 pages, La Cheminante
Livre précédent:
L'enfant de Mers-el-Kébir, Éditions Encre Fraîche (2015)