Editeur Manga : Ototo – Taifu & Ofelbe en pleine évolution

Publié le 13 mai 2018 par Paoru

Nouvelle interview éditeur du semestre, 3e d’une série de 5 avant que je m’intéresse pour quelques numéros à d’autres métiers des j-loisirs. Après un des leader, Kana, et un challenger, Ki-oon, je voulais compléter la tableau avec un petit éditeur, un de ceux qui gravite autour de la 10e place du top français des maisons d’éditons de manga, d’après l’institut GfK. C’est souvent parmi ces derniers que l’on trouve des catalogues qui n’ont pas besoin d’être généraliste et qui ont leur(s) thématique(s) de prédilection, et il en découle une identité toujours intéressante à décortiquer.

C’est ce que je me suis attelé à faire avec le trio Ototo-Taifu-Ofelbe, grâce à leur attaché de presse Guillaume Kapp. En complément de l’interview hentai de l’ami Olivier Benoit pour Journal du Japon, nous avons donc discuter de presque-tout pour les 3 labels : communication et communauté, succès et stratégies, réflexions et évolutions… Tant et si bien qu’au bout de 1h40 de discussion nous avons accouché de la plus longue des interviews éditeurs de ce blog, ou pas loin. C’est bien connu quand on est bavard on aime, on ne compte pas !

A vous de la lire maintenant, enjoy !

La communication, un exercice délicat

Paoru.fr : Bonjour Guillaume Kapp, et merci de répondre à mes questions.

Je commence par rebondir sur une actualité, qui peut te concerner aussi bien en tant qu’attaché de presse qu’amateur d’œuvres japonaises : le bashing de l’artbook Quand le Manga réinvente les grands classiques de la peinture, où un rédacteur ET un rédacteur en chef de Numérama se sont un peu défoulés sur le livre sur Twitter.

La matinée avait bien commencé, quand soudain… pic.twitter.com/t3G6cXV563

— corentin durand (@CorentinJL) 7 mars 2018

Ma question est : comment réagir quand un media bash bêtement et gratuitement l’un de tes titres ?
Je me dis qu’avec le yaoi ou le hentai tu as du en voir des vertes et des pas mûres dans ce genre là…

Guillaume Kapp: En fait c’est compliqué et ça dépend où tu te situes, car en tant qu’attaché de presse tu ne peux pas réagir de la même façon qu’en tant que simple lecteur et amateur passionné. J’ai donc suivi de près la réaction de Mana Books face à ce bashing gratuit et je pense qu’elle a été la bonne : ne pas rentrer dans la polémique et rester le plus détaché possible.

Ils ont tout simplement dit que lorsque l’on est éditeur et que l’on envoie des titres en service presse, on n’est pas à l’abri de ce genre de retour. Il y en a des négatifs et des positifs. Quand ils sont négatifs, c’est évidemment mieux s’ils sont argumentés avec des recherches etc. Mais malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. Il y a toujours des “mauvais élèves” qui vont à l’encontre du travail de journaliste et qui tentent consciemment ou inconsciemment de faire une espèce de bad buzz.

C’est pour ça qu’ils ont très bien réagi parce qu’en tant qu’attaché de presse il est important de faire la part des choses – en lisant les tweets de ce genre sur un de tes ouvrages tu peux très bien péter un câble devant ton pc ! (Rires) – car ton discours officiel ne doit surtout pas être une réaction à chaud sur des réseaux sociaux.

C’est une histoire entre l’éditeur, l’attaché de presse et le média. Je pense qu’il y a eu forcément un debrief afin de clarifier la situation. Est-ce que la collaboration continue ? Dans quelles conditions ? Il faut mettre les choses au clair et dire clairement ce qui ne va pas, ce qui doit être amélioré. Le but est que ça ne se reproduise pas.

Et du coup est-ce que tu as déjà vécu ça et comment tu le gères toi ?

Alors c’est rarement arrivé du côté de Taïfu et Ototo. C’est une chance car sur Taïfu nous sommes sur des registres assez particuliers, qui ne sont pas grand public comme le yaoi, le yuri et le hentai. Il faut connaître ces genres pour les comprendre. Il y a quand même eu 2-3 cas. Il y a quelques années, nous avions eu quelques problèmes sur un article qui parlait du yaoi (de manière générale) dans un magazine spé. Dans un autre magazine spé nous avions eu une critique assez acerbe de Sword Art Online avec des propos à la limite de l’irrespect par rapport au travail de l’auteur. Dans les deux cas ça a pu se régler par mail ou téléphone. C’est important de ne pas tomber dans le débat public afin de ne pas lancer une polémique / un bad buzz. Ce n’est bon pour personne. Nous sommes adultes, il faut savoir discuter et se dire clairement les choses. On doit aussi savoir être fermes.

En fonction du degré d’importance de la chose on décide de continuer ou non de travailler avec le média. Sur le yaoi nous avions suspendu les relations pendant un moment.

Je me souviens que tu voulais bien choisir aussi à qui tu envoies les ouvrages hentai.

Sur le hentai nous faisons encore plus attention, nous n’envoyons pas d’ouvrage à des rédacteurs que nous ne connaissons pas, nous discutons avec eux avant le cas échéant… Nous nous intéressons à ce que fait le média, au travail qu’a déjà accompli le rédacteur.

Le hentai, le yaoi et le yuri sont très spécifiques. Encore une fois, il faut se renseigner un minimum pour en parler correctement. On ne peut pas débarquer comme ça et se dire que l’on va parler de yuri parce que c’est à la mode, de hentai parce que c’est un phénomène très japonais ou de yaoi car s’est aperçu qu’il y avait un engouement particulier. Ça ne marche pas comme ça, ce n’est pas aussi facile que ça : il y a des codes, une histoire et des origines pour ces trois genres. On ne peut pas s’improviser rédacteur là dessus. Il faut faire des recherches et discuter avec les éditeurs et les lecteurs ! En clair, il faut s’immerger un minimum pour écrire un article qui saura intéresser les non-initiés ou les fans de la première heure. Il y a donc un suivi à faire.

En parallèle, nous travaillons énormément avec des spécialistes, comme le Tag Parfait, spécialisé dans la culture érotique et pornographique qui fait du très bon travail à ce niveau là ou des sites comme Yaoi Cast et Yaoi Plus pour le yaoi. Aujourd’hui, le magazine Coyote Mag a aussi sa rubrique dédié au Yaoi : Le coin fujoshi. De son côté, Animeland propose également des articles /dossiers qui s’y intéressent. Il y a une évolution qui fait plaisir à voir !

La raison ? L’arrivée d’une nouvelle vague de jeune auteures talentueuses qui ont diversifié le Yaoi et qui l’inscrivent plus dans une réalité actuelle. Au Japon, le Yaoi est plus présent dans l’actualité. Il est de plus en plus considéré comme un genre à part entière. C’est aussi parce que les éditeurs JP/FR ont su mettre l’accent sur des titres plus grand public, plus accessibles. En France, cette nouvelle politique éditoriale a eu un effet bénéfique sur sa notoriété.

C’est l’intérêt d’éditer des titres qui parlent de thématiques plus actuelles comme l’homoparentalité, le harcèlement scolaire, etc. Grâce à cette évolution, le Yaoi s’est ouvert a de nouveaux lecteurs et a éveillé l’intérêt de médias généralistes qui se demandent pourquoi ce genre a autant de succès. Aujourd’hui, nous pouvons dire à ces médias qu’ils ont les éléments, les cartes pour en parler et attirer l’attention de leur lectorat. C’est pour cette raison qu’il faut publier des yaois qui touchent à des problématiques actuelles et à des sujets de société, ça permet à des médias non-spécialisés d’en parler de façon plus détachée. Nous arrivons à avoir des articles très intéressants sur des médias non estampillés boys love ou yaoi… Comme sur Journal du Japon par exemple ! (Rires)

Disons que de notre côté, comme le yaoi est en effet sorti de son carcan et que tout le monde voit peu ou prou ce que c’est, ça nous permet de parler d’autre chose lorsque des thématiques intéressantes et originales sont abordées, et ainsi de ne pas faire 80 ou 90% du papier sur l’étiquette yaoi du titre.

Cela dit, de toute façon pour ces genres là, il y aura toujours des points qui posent problème. J’en parlais il y a pas longtemps avec une journaliste du Monde Pixel : la culture du viol / le consentement sont des sujets problématiques dans le yaoi et dans le hentai. Même un titre qui peut être très abordable et qui parle de choses importantes peut mettre en scène des choses sexuellement borderline et poser, à juste titre d’ailleurs, des soucis. C’est aussi des choses à prendre en compte. Cela ne dérangera pas (ou moins) les lecteurs avertis/initiés, mais « choquera » davantage les autres. En tant qu’éditeur, on doit faire attention et prendre en compte ces éléments.

Il y a des choses qui de toute façon ne sont pas tolérables de notre point de vue : culture du viol, les mineurs, etc…

Et c’est normal ! C’est aussi à l’éditeur de faire un choix, justement : “je publie / je ne publie pas”. C’est à nous de faire une sélection… Notre but est d’éviter la polémique et de casser l’image négative que certaines personnes peuvent encore avoir du Yaoi, mais c’est aussi du Yuri et du Hentai à d’autres niveaux. On a des responsabilités vis-à-vis des lecteurs. Il y a tellement de perles encore non-publiées en France.

A lui de choisir la limite en effet, avant même de savoir comment il veut, ou peut, vendre un titre. On se situe dans un instant où pas mal de lignes semblent évoluer : nous réalisons cette interview quelques jours après la journée internationale des droits de la femme et 2018 démarre après une année Weinstein assez unique… Il faut y réfléchir à deux fois pour certains titres.

Exactement, il faut faire attention à l’actualité. Quand elle est positive sur un sujet et que des portes s’ouvrent, on peut très bien publier un titre qui saisit cette opportunité. Mais quand un autre sujet se situe dans une actualité négative ou tumultueuse, ce n’est peut-être pas le moment de remettre de l’huile sur le feu. Nous sommes déjà sur un média un peu à part qu’est le manga, qui a déjà suffisamment d’a priori à son actif pour ne pas en remettre une couche.

 En effet !

Allez passons maintenant au cœur de l’interview, le bilan pour Taifu, Ototo et Ofelbe !

Ototo, dans un cercle vertueux

Pour commencer avec Ototo, je vois dans le bilan de nos confrères Manga Mag une belle augmentation de 57% des ventes selon les chiffres de GfK. Est-ce que c’est avec un nombre de sorties comparable ?

En 2016 nous avons eu 4 lancements : Gate, Re:Monster, Sword Art Online Calibur, un one-shot, et Sword Art Online Mother Rosario en fin d’année. En 2017, nous sommes sur 7 lancements, soit presque le double : Overlord, Bungo, Re: Zero, Dan Machi, Monster Musme, Alderamin, Fate. Nous avons publié entre 15 et 20 tomes en 2016 contre 35-40 en 2017. Donc ce +57% vient en partie du fait que nous avons doublé notre production.
Cela dit nous restons l’un des éditeurs qui fait le moins de lancements sur une année et idem en terme de parution.

Certains éditeurs publient plus que vous avec des parts de marché plus faible, vous avez un bon ratio chez Ototo, même s’il faut aussi tenir compte du fond de catalogue qui peut brouiller l’analyse des chiffres…

En effet, d’ailleurs, sur 2017 l’augmentation de 57 % a 3 raisons : d’une part nous doublons la production comme je viens de le dire. Ensuite nous pouvons nous appuyer sur un fond de catalogue avec très actif avec SAO, Gate et Re:Monster, mais aussi Spice & Wolf. Enfin, en 2017 nous faisons de très bon lancements, nous n’avons pas vraiment eu de déception. Re: Zero fait autant qu’un SAO Progressive sur son lancement par exemple.

Si on regarde les chiffres j’ai vu 12 000 exemplaires écoulés pour le premier tome de la saison 1 et 8 000 sur le premier de la saison 2, qui sont en effet des bons chiffres, et 7 000 exemplaires sur le premier tome d’Overlord, ce qui n’est pas mal du tout car c’est normalement plutôt pour du public de niche…

En effet, et à ça s’ajoute Monster Musume qui est une très bonne surprise chez nous avec un tome 1 qui s’est écoulé à plus de 5 000 exemplaires entre début novembre et février 2018.

C’est une bonne surprise pour du manga ecchi !

C’est vrai que nous nous sommes posés plusieurs fois la question, car c’est un titre que nous avions chez nous depuis quelques temps. Nous nous demandions le potentiel en France, mais aussi chez qui le publier, Ototo ou Taïfu ? S’il est publié chez Taifu, qui est estampillé hentai, il perdrait une partie de son potentiel en étant trop rapidement catalogué. De plus, il ne faut pas se leurrer, Ototo a plus de visibilité que Taïfu Comics et c’est pour cela que nous l’avons publié chez Ototo.

Au fur et à mesure des mois, nous avons pu constater que le titre revenait de plus en plus dans les demandes de nos lecteurs, sur nos réseaux. Or il est toujours très important pour un éditeur de faire attention aux propositions des lecteurs, aux titres qui tournent sur les réseaux sociaux. Monster Musume nous en avons beaucoup entendu parler en salon par exemple.

C’est donc bien, en tant qu’éditeur, de trouver des petites pépites à faire découvrir aux gens mais il ne faut pas oublier que derrière il y a un public et des attentes à satisfaire et nous sommes forcément obligés de les écouter. En publiant des titres qui ont déjà une notoriété / attendus, le risque est moins grand. Si succès il y a, on peut se permettre de publier des coups de cœur, souvent inconnus, plus facilement en redistribuant l’argent gagné. On s’offre une marge de sécurité pour amortir en cas d’échec. C’est une stratégie qu’on a décidé d’adopter, car on n’a pas forcément les moyens d’autres éditeurs. Il faut être conscient de ce qu’on est et s’adapter. Enfin, ce qui est bon signe c’est qu’on prépare quelques surprises pour fin 2018 / début 2019.

Cela n’empêche pour autant de s’assurer vous-même du potentiel en effet, car un titre qui est très demandé, même à corps et à cris, ne fait pas forcément un carton…

Il faut faire attention, c’est toujours un peu le danger, quand il y a une fanbase. Elle peut être très importante, avec beaucoup de personnes, et elle fait donc beaucoup de bruit. Overlord, Re:Zero, Monster Musume ou même Dan-Machi étaient attendus et avaient un vrai potentiel et nos attentes ont donc été comblés.

Par contre, parfois, elle représente un petit noyau d’une centaine de personnes mais s’il est très actif sur les réseaux, on peut avoir l’impression qu’ils sont plusieurs milliers. Nous sommes donc toujours prudents par rapport au bruit que peut faire une fanbase.

Concernant le rythme de sortie évoqué plus haut : sur 2018, si on regarde le planning du premier semestre, vous avez l’air de vous déployer davantage encore qu’en 2017…

Sur 2018 nous allons encore accroître le nombre de lancements, nous devrions faire 10 lancements sur l’année, soit 2-3 de plus par rapport à 2017 et nous devrions atteindre les 60 parutions contre 40 l’an dernier.

Est-ce que vous avez un nombre de parutions maximum, un objectif à atteindre ou jaugez-vous ça plutôt ça d’année en année, en attendant de voir comment ça fonctionne ?

Nous travaillons plutôt en regardant les résultats année après année en effet. Ototo – Taifu Comics est une petite structure d’une dizaine de personnes donc il ne faut pas non plus que la production ne puisse plus être prise en charge par notre équipe. La vie d’entreprise et le poids des charges salariales fait que nous ne pouvons pas non plus embaucher à tour de bras sous le prétexte que nous augmentons notre production, ce n’est pas aussi simple ou linéaire que ça. Tout dépend du succès des séries et des dépenses. Il faut trouver le juste milieu.

Après nous sommes dans un cercle vertueux : s’il y a des bons lancements nous pouvons en faire plus l’année suivante et si la plupart des lancements se concrétisent et confirment leur potentiel cela nous permet à ce moment là d’embaucher derrière et donc, ainsi, d’augmenter notre production en conséquence. Nous regardons donc comment tout cela évolue d’année en année, comment tout le monde se sent aussi, au niveau de l’équipe.

De plus il ne faut pas créer une bulle qui pourrait éclater derrière en cas de lancement moins réussis. D’autant qu’en 2018 il y a aussi plusieurs séries qui vont s’achever chez nous comme Accel World, Fate / Zero, Spice and Wolf… Il faut combler ces fins de série, il faut anticiper d’autant plus que le marché est désormais très concurrentiel, donc il faut se décider sur le premier tome généralement, sinon il y a de grandes chances de perdre le titre.

Il faut en effet prendre ce risque…

Et du coup ce qui est marrant c’est qu’il y a pas longtemps un lecteur me disait sur les réseaux : “Pourquoi publiez-vous des mangas qui existent depuis pas longtemps au Japon ? Parce que l’on est obligé d’attendre très longtemps pour avoir un nouveau tome !

Cela arrive sur certains titres comme Re: Monster et en effet, il faut attendre plusieurs mois entre deux tomes, mais si nous ne nous étions pas positionnés sur ce titre aussi tôt il aurait été acquis par un autre éditeur.

Disons qu’à part Kingdom ou un shônen sur un sport sans potentiel chez nous, il n’y en a plus vraiment de série avec 20 tomes en stock !

Exactement. Nous avons eu de la chance par exemple sur Monster Musume qui possède déjà une dizaine de tomes publiés au Japon. À la fin de l’année nous sortons une autre série qui a une dizaine de tomes au Japon et qui a été un coup de cœur chez nous. Elle est publiée dans le magazine Young Gangan de Square Enix pour ceux qui aimeraient faire quelques recherches. (Rires)

Alors, certes, comme personne ne s’était positionné dessus nous aurions pu nous demander pourquoi, où était le piège, mais il ne faut pas trop réfléchir non plus parce que sinon on passe à côté de belles occasions comme celle-là.

D’autant que même une fois la licence acquise, nous ne pouvons pas pour autant attendre que les tomes s’accumulent avant de se lancer, car les ayants-droits veulent des résultats rapidement.

Acheter un titre et le mettre de côté c’est quelque chose qui est faisable ?

Avant c’était compliqué pour nous car nous n’avions qu’une petite production. Maintenant nous pouvons nous permettre d’attendre un peu plus mais tout dépend de l’éditeur japonais. Certains vont vouloir que nous sortions immédiatement les titres, d’autres acceptent d’attendre un peu. Cela dépend aussi de la durée du contrat, qui couvre une période plus ou moins longue.

Avec un contrat de trois ans pour une série par exemple, attendre deux ans pour la sortir serait dommage, même si cela pourrait nous permettre de mieux la travailler…

C’est sûr que lorsque tu paies un contrat limité dans le temps il faut un minimum le rentabiliser avant l’échéance. D’autant que tu ne sais jamais ce qui peut se passer à la renégociation une fois qu’il arrive à terme.

Disons que nous sommes plutôt dans une position de suiveur. Il est difficile d’imposer nos positions aux ayants-droit.

C’est ce qui est compliqué dans l’achat de licence.

Exactement, et il est difficile d’en parler au cas par cas sur les réseaux car nous ne pouvons pas non plus dévoiler les éléments contractuels de chaque titre. Du côté du lecteur ce sont des éléments qui ne sont pas toujours sus ou compris.

À défaut de pouvoir leur expliquer tout ça dans le détail justement, comment faire pour garder des lecteurs sur des licences à la parution espacée ? Dans le cas de Re : Monster où il s’écoule un an entre deux itérations, est-ce que vous y êtes parvenus justement ?

Nous avons réussi, oui, car Re : Monster est l’un de nos titres qui a eu le moins de perte de lectorat entre ses tomes. Cela montre que l’attente n’est pas forcément un problème insurmontable. Cela serait faux de dire que, avec un an entre deux tomes, un titre est forcément destiné à se planter. Tout ça dépend du titre lui-même, bien sûr, de son aura, du travail de l’éditeur derrière. Il faut faire de la communication et créer une attente…

Re : Monster est arrivé à un moment où les titres dans ce genre n’étaient pas si nombreux donc il a pu s’implanter et trouver son lectorat. Ensuite, la durée entre deux tomes génère une frustration qui s’avère positive au final, pour l’éditeur, car lors de la sortie d’un nouveau tome en librairie, les gens l’achètent aussitôt, et les premières commandes de libraires sont toujours très bonnes pour cette série.

Néanmoins pour le faire patienter si longtemps, une des clés vient de la façon de communiquer de l’éditeur et aussi de sa communauté. Chez Ototo nous avons une communauté très réceptive, ce n’est pas la première fois que nous en parlons ensemble d’ailleurs. Nous avons réussi à nous positionner comme un éditeur de fantasy et d’heroic fantasy, qui publie beaucoup de mangas en rapport avec les mondes de l’imaginaire. Ainsi certains lecteurs de Re : monster seront aussi des lecteurs de Gate, d’autres seront des lecteurs de SAO, tout se croise. Nous gardons ce lectorat avec nous et nous le perdons pas. Si nous avions publié Re : Monster sans rien proposer d’autres en heroic fantasy, il aurait été difficile de garder ce lectorat pendant une année sans actualité.

Il est aussi important de rassurer les lecteurs de ses séries. Leur dire que le prochain tome est bien prévu, que la série n’est pas arrêtée, etc. Ces questions reviennent souvent.

Chacun de vos titres est une alternative pour en attendre un autre…

Voilà. Ils nous permettent de garder nos lecteurs actifs. Cela fait vivre notre communauté. Elle reste alors plus attentive à notre actualité.

L’un des avantages de ne pas sortir trop de titres est aussi de pouvoir prendre le temps pour cette communication…

Et de faire vivre aussi notre fond de catalogue, en remettant constamment en avant nos titres en cours. La priorité reste les nouveautés, mais on ne peut pas mettre sur la touche un titre une fois son lancement passé. C’est vrai pour les TOP ventes, mais aussi pour ceux qui ont plus de difficultés. Aussi, même s’il y aura toujours de l’actualité et des nouveaux titres en fantasy et heroic fantasy, il ne faut pas non plus inonder notre lectorat. Il faut être sélectif et sortir le top du top pour continuer à rester crédible dans notre identité d’éditeur spécialisé dans ce domaine.

L’avantage est donc d’avoir une communauté de lecteurs qui nous suivent et nous soutiennent, ce qui n’a pas de prix. Avec ça on a une base solide et ça aide énormément pour nos prévisions. Cela ne nous empêche pas de proposer des titres qui sortent un peu de ces univers, au-delà de cette zone de confort, mais pas au détriment de notre thématique principale, sinon nous perdrions cette communauté et cela se ressentirait forcément au niveau des ventes.

Passons à un autre titre : SAO… Alors j’ai l’impression que la saga se décline à l’infini, mais c’est sans doute car je n’en suis pas un lecteur. Si on fait les comptes, combien d’opus et de séries pour cette saga ?

Nous en sommes à 5 arcs : Aincrad, Fairy Dance, Calibur, Mother’s Rosario et Phantom Bullet qui sont les arcs de la série principale. Ensuite il y a Sword Art Online Progressive qui est lui un reboot d’Aincrad. Et là nous avons sorti SAO Girl Ops qui est un spin off n’existant qu’en manga. C’est une saga qui se développe, qui est encore à même de se développer à l’avenir…

Mais ces 7 histoires représentent combien de tomes au final ?

Tout confondu nous en sommes à 19.

Pour une licence qui est l’étendard d’un éditeur 19 tomes ce n’est pas énorme finalement, comparé à un Naruto / One Piece ou Fairy Tail…

Oui surtout que si tu restes sur la saga principale, elle ne représente que 12 tomes au final, c’est juste le découpage en arc qui fait que l’on multiplie les noms donnant ainsi une impression de « trop ». Seulement, ça reste une seule et même histoire et elle reste largement abordable en termes de tomes sortis.

Est-ce justement un avantage pour vous ce découpage, ce changement de nom ? Est-ce que ce renouvellement vous aide à mieux faire vivre la licence ?

C’est plus facile à remettre en avant car à chaque nouvel arc il faut faire une annonce et un lancement. Néanmoins, il faut faire attention à ne pas perdre les lecteurs ou les prescripteurs et professionnels du marché à cause de la multiplication des noms, de la place de tel arc ou de tel spin-off dans la chronologie. C’est le danger. Sur Re : Zero, également divisé en arc, nous avons mentionné et rajouté “Premier Arc” ou “Deuxième Arc”. Ce n’est quelque chose que nous n’avions pas mis sur SAO mais nous avons fait attention au retour que nous avons eu et nous n’avons pas fait la même erreur.

En tout cas SAO est une série qui va continuer encore plusieurs années et nous voulons continuer à faire vivre cette licence. Rien qu’en 2018 il y a deux saisons animées qui ont été annoncées – une en avril et une autre annoncée pour cet automne. De plus, début mars, nous avons sorti Girl Ops et nous allons publier Alicization en juin, qui est la suite directe de la saga, le 6e arc si l’on peut dire. Elle était attendue depuis longtemps par les lecteurs et il suffit de voir les ventes du light novel d’Alicization publié en février 2017 pour être rassurés. Les fans de SAO veulent cette suite.

Si on parle de SAO, on peut aussi évoquer Reki KAWAHARA, car le monsieur arrive avec une nouvelle série chez vous, mais hors de cette licence justement : The Isolator. C’est un auteur qui a vocation à rester chez vous, donc ?

En effet oui, de toute façon nous avons déjà montré que nous avions une politique d’auteur avec Keito KOUME dont nous avons publié Spice & Wolf mais aussi Magdala. On recommence avec Reiki KAWAHARA car il fonctionne très bien chez nous, c’est un peu devenu une marque connue par les fans comme les moins fans . On peut communiquer sur “l’auteur de Sword Art Online” pour The Isolator. C’est pour cette raison que The Isolator et Alicization sortiront en même temps. On a bien l’intention d’appuyer la sortie du premier avec la puissance de frappe d’un Alicization.

Sur le titre en lui-même : l’avantage est que, pour ceux qui ne sont pas forcément fans de SAO ou ceux qui ne veulent pas un redit de SAO ou de sa thématique, The Isolator est davantage typé SF. On parle de capacités surhumaines, d’entités extraterrestres, donc ce n’est pas un KAWAHARA classique. Il y a une touche Reki KAWAHARA, forcément, dans le héros et dans sa personnalité mais mis à part ça l’univers n’a rien à voir avec SAO et Accel World, c’est très sympa et j’ai été agréablement surpris par ce changement de sujet.

Puisque l’on parle de communication : l’année 2016 était très SAO pour Ototo, 2017 était estampillée #REvolution2017,car il y avait Re : Zero et Re : Monster je suppose…

Alors c’est même plus “subtil” que ça ! (Rires)

Ah ? Vas-y alors, raconte !

Alors à la base le “RE” était surtout pour Re: Zero puisque c’était notre gros lancement de licence de l’année. Nous la vendions comme notre prochain SAO et pour le moment – je touche du bois – ça en prend la direction. Mais en janvier nous avons aussi changé de distributeur car nous sommes passés de Makassar à MDS Distribution, le distributeur de Kana. Nous gardons Makassar juste pour la diffusion. MDS nous permet d’avoir une meilleure visibilité et de travailler avec de nouveaux libraires. Il y a eu quelques couacs au début mais c’est comme partout lorsque l’on met en place des changements de cet ordre.

Petit point pour les néophytes : Distribution / Diffusion, où est la différence et qui fait quoi ?

Le distributeur est l’entité qui va livrer nos mangas en librairies. Il va également assurer le réassort des titres quand il y a des ruptures chez certains librairies (si commandes de ces derniers il y a).

Le diffuseur est l’entité commerciale qui va vendre nos titres aux différents revendeurs. Il y a donc une équipe de commerciaux qui se divise le territoire, qui vont passer dans les points de vente de leur région et présenter nos titres aux libraires. Grâce au travail du diffuseur, ces derniers peuvent ainsi passer leurs commandes.

Et pour en revenir à cette REvolution…

Oui il y a aussi de nouvelles collaborations avec les éditeurs japonais : jusque là nous travaillions beaucoup avec Kadokawa et en 2017 nous avons recommencé à travailler avec Square Enix grâce à Re : Zero puis Dan Machi qui est arrivé ensuite en septembre. Comme évoqué précédemment, il y a enfin la révolution au niveau du nombre de lancement et de la production… C’était vraiment une transformation à plusieurs échelles, plus ou moins visibles pour les lecteurs mais en interne ça a vraiment été une année marquante.

Du coup, le slogan 2018 ce serait quoi ?

Bonne question, d’autant que l’on m’a déjà posé la question. Pour 2018, j’ai envie de communiquer sur notre nouveauté de fin d’année qui va un peu révolutionner notre catalogue et surprendre beaucoup de lecteurs. On peut donc partir sur le hashtag #NotSafeForCriminals / #NSFC avec une petite phrase d’accroche du style… « Je ne suis pas une bonne personne » ! La réponse ? À la fin du mois si tout se passe bien. C’était l’intant teasing !

Avant ce slogan là on était parti sur “petit à petit l’oiseau fait son nid”

Car Ototo continue de grandir et d’évoluer ! Petit à petit on se fait une place sur un marché ultra concurrentiel. Nous sommes vraiment fiers de ce qui a été accompli.

Je ne disais pas ça par hasard non plus car, comme nous le disions avec Yves (NDLR : Yves HUCHEZ, fondateur et directeur d’Ototo), lorsque nous avons lancé Ototo beaucoup de personnes pensaient que nous aurions dû rester à nous occuper de Taïfu et de ce que l’on connaissait, le hentai, le yaoi et le yuri, et que nos premières licences ne valaient pas grand chose.

Depuis ça il y a eu Spice & Wolf puis, progressivement, d’autres séries sont venus s’ajouter à notre catalogue. En prenant notre temps, sans griller les étapes, nous nous sommes développer. Aujourd’hui, je pense qu’on nous regarde peut-être d’une autre manière.

Cela fait deux ans de suite que l’on voit apparaître vos licences dans les tops lancements et vous ne devez pas être loin du top 10 éditeurs en part de marché chez GfK. Vous voilà une maison d’édition sérieuse dites donc ! (Rires)

Mais oui, tout à fait ! (Rires)

En tout cas nos lecteurs ont l’air contents, ceux qui nous découvrent via des titres un peu différents comme Bungo Stray Dogs ou Alderamin ont eux aussi l’air de nous apprécier… donc oui c’est encourageant. Récemment, l’autre point qui m’a fait plaisir c’est lorsque les gens se sont demandés chez qui pourrait être publié le manga Made In Abyss quand l’anime a fait le buzz. Voir des lecteurs de manga penser à nous et espérer que l’on publie un titre qu’ils attendent c’est vraiment chouette, ce n’était pas le cas il y a quelques années !

En effet… Et après vérification l’ensemble Ototo – Taifu est en effet à 2 % de parts de marché ce qui vous place 9e éditeur en parts de marché en 2017. Vu qu’ensuite on arrive sur les éditeurs de taille moyenne avec 3-4% de PDM, on peut donc dire que vous êtes donc “le plus grand des petits éditeurs”…

Et c’est un qualificatif qui nous va tout à fait d’ailleurs. Quand on parle de nous en disant “petits éditeurs” nous ne nous offensons pas, au contraire cela nous fait plaisir. Nous préférons avoir cette structure familiale et indépendante qui nous va très bien. Parmi les éditeurs qui sont en hausse en 2017 il y a plusieurs éditeurs qui s’approche de notre modèle comme Akata et Komikku. De petites structures qui fonctionnent bien, ce n’est sans doute pas par hasard.

Ensuite, dans votre planning 2018, au delà d’un slogan, il y a un titre qui m’a tapé dans l’oeil c’est Made In Abyss. J’ai eu l’occasion de voir l’anime qui m’a beaucoup plus et qui a fait couler un peu d’encre, en bien. Pour autant le manga nous vient d’un éditeur très peu connu, Takeshobo et n’est pas adapté d’un light novel… Peux-tu nous dire comment-est il arrivé dans vos mains ?

Nous travaillons avec Takeshobo car ils ont des titres hentai mais aussi du yaoi. C’est un éditeur que nous connaissions bien et il se trouve que nous avions Made In Abyss depuis la sortie du tome 1 au Japon, en 2012, car l’éditeur nous l’avait donné en sample sur salon, à Bologne ou à Frankfort je crois. Nous étions revenus avec et nous étions tous séduits : nous l’avons trouvé beau, avec un univers derrière qui avait l’air hyper intéressant. C’était en 2012 mais au début, il était compliqué de le sortir de nulle part pour le publier en France, surtout avec un seul tome. Mais nous avons continué de le suivre, nous demandions des exemplaires à l’éditeur japonais à chaque fois qu’un nouveau tome sortait… et puis il y a eu l’annonce de l’anime. Là nous avons pris la température auprès de l’éditeur japonais et nous avons fait une demande d’acquisition.

Comme je le disais tout à l’heure c’est un exemple de timing complexe à gérer et de nécessité de rester à l’affût et à l’écoute. Si nous l’avions acquis dès le début pour le sortir en 2013 plus de quatre ans avant l’arrivée de l’anime et selon un rythme de parution assez lent je pense qu’il aurait été très compliqué de l’exploiter pleinement. Alors que là nous avons plutôt le vent en poupe, Ototo tourne bien en plus, donc c’est la bonne période.

C’est clair que l’anime a rencontré le succès mais en sortant d’un peu nulle part et en convaincant les amateurs les uns après les autres, comme nous à la rédaction de Journal du Japon…

Le titre a vraiment construit sa réputation tout seul et c’est pour ça que nous en faisons un challenge important de 2018 car il y a vraiment un beau potentiel à exploiter. Sur le premier trimestre notre gros lancement est No Game No Life, cet été ce sera Alicization et The Isolator mais en mai Made In Abyss est l’un de nos lancements phares et nous espérons bien en faire une des locomotives d’Ototo.

Il a combien de tomes déjà publiés au Japon ?

Six, ce qui nous laisse une petite marge pour le lancer convenablement et les lecteurs pourront découvrir ce qui se passe après la première saison de l’anime, c’est un attrait supplémentaire.

Quel est le rythme de publication ?

Au départ c’était un par an mais avec l’anime l’auteur a accéléré la cadence et dorénavant c’est plutôt un volume tous les 6-8 mois.

De Taifu à Ofelbe : réflexions et évolutions

Ok, nous avons fait le tour pour Ototo. Si on évoque Taifu les ventes sont à peu près stables… C’est ça ?

Oui. Nous étions à 33 parutions en 2016 (yaoi yuri et hentai), contre 38 en 2017 et en 2018 nous devrions être autour d’une trentaine de yaoi, il y aura 3 tomes de Citrus et le hentai qui fera un retour en force.

D’ailleurs pourquoi a-t-on 3 tomes de Citrus en 2018 mais aucun l’an dernier ?

Il y en a eu un, sorti en décembre. La pause de plusieurs mois entre les tomes 4 et 5 est due à un rachat d’Ichijinsha par Kodansha. Cela a posé pas mal de difficultés car il a fallu reprendre contact avec les nouveaux interlocuteurs, etc. Nous avons eu la chance de ressortir Citrus au moment où l’anime est arrivé et pour le coup on peut dire que l’anime fait une très belle promotion au manga.

En tout cas c’est un titre qui tourne très bien chez Taifu

As-tu des chiffres de ventes d’ailleurs ?

Le tome 1 s’est écoulé à plus de 6000 exemplaires et continue de bien tourner en librairies ce qui est très bon signe.

Donc une année quasiment sans Citrus mais avec un nombre stable de ventes, c’est donc une bonne année non ?

Surtout que nous avions 4 tomes de Citrus en 2016 et cinq titres hentai dont un de YAMATOGAWA, un tome de 10 Count également. En 2017 nous n’avions quasiment pas de Citrus, pas de hentai et nous nous sommes concentrés sur le lancement de nouveaux auteurs, ce qui est plus difficile forcément en termes de ventes, mais nous avons choisi de renouvelé notre catalogue.

En plus par rapport aux chiffres GfK, même s’il y a une légère baisse de quelques milliers d’exemplaires il faut tempérer ça par le fait que les ventes en salon ne sont pas comptabilisés dans leur sondage. Pourtant cela représente 25% de nos ventes avec une dizaine de salon par an. La variation de 2017 peut donc s’expliquer par des choix assumés et quelques aléas éditoriaux. Résultat, on peut dire avec le sourire que ça va relativement bien pour Taifu Comics.

Vous conservez votre ligne éditoriale dont nous avions déjà parlé : la qualité plutôt que la quantité c’est bien ça ?

Complètement. Sur le yaoi on ne va pas se le cacher il y a, depuis deux – trois ans, une grosse surproduction qui est affolante. Cela peut faire le bonheur de certains mais ça a aussi ses désavantages. Par rapport à ça nous préférons baisser notre production car nous pouvons nous le permettre au niveau de la compatibilité mais c’est pour aussi pour mettre l’accent sur la nouveauté et la qualité.

Aujourd’hui, on publie des titres qui sont moins dans les standards et dans les codes du yaoi classique. Les thématiques qu’ils exploitent / abordent parle à tout le monde et s’inscrivent dans des problématiques auxquelles notre société doit faire face actuellement. Cette évolution, on l’a doit en partie a une nouvelle vague de jeunes auteures très talentueuse qui sont amenées à devenir les tops ventes japonais d’ici un an ou deux ou qui le sont déjà pour certaines. Je pense à Natsuki KIZU avec Given, Ogeretsu TANAKA avec Escape Journey, à Ranmaru ZARIYA avec Void… C’est un travail qui se fait en amont car il faut suivre l’actualité japonaise et sa production qui est exceptionnelle.

Donc c‘est un travail quotidien pour suivre ça, mais pour le moment ça paye : les lecteurs ont l’air contents des choix que nous faisons, ce qui nous fait plaisir car nos partis pris éditoriaux sont confirmés par eux mais aussi par les ventes.

Une bonne vente yaoi d’ailleurs, c’est quoi en terme de chiffres ? Tu as quelques exemples ?

Quand on passe la barre des 3000 exemplaires. Un TOP ventes atteint la barre des 5000 exemplaires comme les titres de Rihito TAKARAI ou In These Words.

Qualité plutôt que quantité restera notre donc créneau dans les années à venir. A ce titre 2018 sera une très belle année et 2019 risque aussi d’être une excellente année.

Et c’est plus épanouissant en plus pour toi de faire ce vrai travail d’éditeur.

Effectivement ! Je prends beaucoup de plaisir à dénicher des titres, à réfléchir puis à les défendre, et d’ailleurs je ne le fais pas seul car nous sommes trois chez Taïfu à sélectionner les titres, trois personnes qui ont des goûts divers et variés et c’est ça qui créé l’émulation. Je tiens donc à remercier les deux personnes qui m’épaules et qui me supportent (rires). C’est aussi ces goûts différents qui permettent à Taifu Comics de publier des titres variés. D’ailleurs, on prévoit de publier davantage de Yaoi typés Fantaisie/Surnaturel. Affaire à suivre !

Enfin, je n’oublie pas notre présence sur les salons qui nous permet de beaucoup discuter avec nos lecteurs et d’affiner nos choix. On est une équipe de passionnés et ces événements sont l’occasion de le voir encore un peu plus.

C’est vrai qu’avec tous les salons que vous devez faire chaque année, c’est pas plus mal d’aimer et de connaître ce que l’on vend !

C’est l’avantage que nous avons en salon : ceux qui s’occupent du stand sont les gens de l’équipe et parmi eux il y a donc ceux qui ont sélectionnés les titres, ce ne sont pas des libraires ou prestataires extérieurs payés pour l’occasion. Nous pouvons forcément mieux défendre nos titres et le faire sourire aux lèvres !

Terminons avec Ofelbe ! Il y a deux ans vous étiez au FIBD d’Angoulême pour expliquer aux gens ce qu’était le light novel, y étiez-vous encore cette année ?

Non, pas cette année, mais nous étions au Salon du livre et de la presse jeunesse à Montreuil ou aux Imaginales à Epinal donc nous continuons notre travail d’explication et de présentation, pour la 3e année en 2018.

Est-ce que ça commence à payer, est-ce que le format commence à être connu et reconnu ?

De plus en plus. Le lectorat de la communauté culture pop japonaise et manga le connait ou en a au moins entendu parler. Pour le grand public c’est toujours plus compliqué de le mettre en avant parce que nous devons faire face à la production colossale du roman jeunesse et young adult.

Ensuite, même si la reconnaissance est là dans le lectorat spécialisé, c’est plus compliqué au niveau des ventes. Convaincre le public manga et anime ça ne se fait pas comme ça, il faut du temps. Quand nous nous sommes lancés avec Ofelbe, nous nous sommes dits qu’il y avait une fanbase de 3 000 lecteurs… et c’est ça, avec des variations en fonction des titres. Je ne compte pas Sword Art Online qui est un phénomène à part.

Sur lequel vous arrivez à combien de lecteurs ou exemplaires vendus du coup ?

Plus de 30 000 exemplaires vendus pour le tome 1 du roman.

Pour le reste, le but est de capitaliser sur les 3 000 lecteurs tout en ramenant des lecteurs de manga vers le light novel : “Vous voulez lire l’oeuvre originale ?” “Vous voulez lire la suite ?” “Alors lisez le light novel, ça peut vous apporter un autre regard sur l’oeuvre que vous avez pu découvrir via un format manga ou anime”.

Voilà nos arguments mais cela va prendre du temps. Ofelbe a débuté en 2015, c’est une petite structure, encore plus qu’Ototo-Taifu, et nous sommes surtout le seul éditeur spécialisé sur le segment LN. Si le manga s’est développé comme il l’est à l’heure actuelle c’est parce que des grands groupes éditoriaux se sont lancés dans ce secteur et qu’ils ont su lui donner de la visibilité. Etre seul a ses avantages certes, mais aussi ses limites.

Vous payez aussi les pots cassés et les expériences… Mais d’autres LN sortent cela dit, chez d’autres éditeurs. Néanmoins ils ne sont pas vraiment étiquetés light novel, plutôt comme des produits dérivés de grosses licences : les LN de l’attaque des titans chez Pika par exemple… Ou quelques titres chez Lumen.

Effectivement, c’est une autre façon de travailler. Il n’y a pas cette identification « light novel ». Nous avons donc forcément plus de travail à faire pour la reconnaissance du genre en France. Enfin, cela nous permet aussi de mieux analyser le marché, les lecteurs et de faire évoluer notre offre. Sur les deux trois prochaines années il y a d’ailleurs quelques changements qui seront mis en place.

Nous savons, par exemple, que l’un des gros points faibles des light novels pour le grand public sont leur couverture estampillée, avec des gros guillemets, “manga” par leur graphisme. Certains codes de la culture pop japonaise ont aussi plus de mal à passer auprès du grand public comme la sexualisation des personnages féminins. Enfin il y aussi un souci sur la longueur des séries. En roman nous sommes faces le plus souvent à des diptyques, trilogies ou quadrilogies, donc lorsque l’on présente une saga et que l’on dit qu’elle va faire une dizaine de tomes, on nous regarde avec des gros yeux : “10 tomes ? Mais attendez on parle d’un roman là, vous êtes sur que c’est pas un manga ?

Non non, c’est bien un roman.

Ce qui peut-être un avantage auprès du public manga ou anime peut être aussi un inconvénient auprès d’un autre public…

Voilà… Et à côté de ces trois difficultés pour le grand public, le public manga-anime nous fait lui aussi des remarques comme “Ah oui mais moi j’ai déjà vu l’anime.

Aujourd’hui, la réalité c’est qu’on est, pour l’instant, obliger de s’appuyer sur des licences connues, qui ont donc un manga et/ou un anime, pour développer le light novel en France et s’assurer des ventes. Le problème étant que le personnes se demandent forcément ce que ça peut leur apporter si elles ont déjà vu l’anime et/ou lu le manga. À cette problématique, il faut aussi penser au budget supplémentaire que représente l’achat d’un light novel.

Mais pour en revenir à l’étiquetage manga d’un LN d’après sa couverture… Vous envisagez de réaliser des couvertures différentes, moins typées manga ?

Cela peut être une possibilité mais nous pouvons nous heurter à l’auteur, qui est aussi souvent l’illustrateur de son titre, donc c’est un peu compliqué de lui dire : “ton titre j’en veux bien mais ta couverture non merci.” Même quand il s’agit de deux personnes différentes, ils sont rarement dissociables. Pour l’éditeur japonais un light novel ne peut pas fonctionner sans son illustrateur et son travail. Si on enlève les illustrations ce n’est plus un light novel. Les deux sont aussi importants l’un que l’autre.

Peut être que l’on peut solutionner ça en utilisant une sur-jaquette. C’est l’une des pistes à laquelle nous réfléchissons. Nous sommes aussi en train de penser au numérique pour le light novel, forcément, parce que c’est de plus en plus demandé. Mais il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas libres de nos décisions et qu’il faut convaincre les ayants droits japonais, ce qui peut parfois être rapide et parfois prendre plus de temps.

’en termine avec un point qui vaut aussi bien pour Ototo que pour Ofelbe : j’ai récemment vu des clear files No game No Life et Wataru Watari ainsi qu’un tapis de souris pour un spin off de SAO. Alors qu’il y en a pléthore au Japon on n’en voit pas souvent la couleur en France, même si cela s’améliore ces dernières années. Néanmoins chez vous il y en a régulièrement : est-ce que c’est facile à obtenir, en quoi est-ce important pour vous de pouvoir accompagner vos sorties de petits produits comme ça ?

Ce n’est pas facile à acquérir du tout, c’est même très difficile. (Rires)

Certains produits sont réservés exclusivement au Japon. Quand nous leur proposons un produit de notre création il y a des refus pour diverses raisons, c’est très compliqué d’avoir des produits dérivés. Après il faut réussir à les placer en librairie. C’est plus facile dès qu’il s’agit de produits dérivés 2D : des clear files, des posters, des tapis de souris, des marques pages, etc. On ne propose que du 2D d’ailleurs.

Ce n’est que du matériel de promotion ou s’agit-il de produits que vous vendez parfois ?

Non ce n’est que du matériel de promotion pour accompagner le lancement d’un titre ou pour continuer à le faire vivre. Pour autant, de notre côté nous savons que ce ne sont pas des produits qui vont faire doubler les ventes d’un titre. C’est d’une part pour faire plaisir aux lecteurs comme ceux de No Game No Life ou SAO, car nous parlons à des fans de cette licence. Proposer ces plus produit leur fait généralement très plaisir, et c’est bon pour nous aussi en retour, pour notre image auprès d’eux ou pour la bonne image de la licence auprès du libraire. Cela permet aussi de faire venir plus vite les gens en librairie puisqu’il s’agit de quantités limitées, car nous ne pouvons pas en imprimer tant que ça. Les lecteurs se dépêchent donc de venir en librairie pour ne pas rater l’offre.

Enfin ça peut amener de nouveaux lecteurs tout de même, et être un élément déclencheur pour un lecteur qui hésitait à prendre la série. Si je prends les exemples de Sword Art Online Girl’s Opération : c’est un spin-off et certains lecteurs de la série principale peuvent hésiter à franchir le pas. Si nous proposons un tapis de souris, le lecteur va se dire que ça vaut le coup de s’offrir ça et d’acheter le tome. Ainsi il va en librairie, il achète le tome et évidemment le lit… et il va peut-être se rendre compte que même si c’est un spin-off, l’intérêt est là. Ce titre peut apporter une plus value par rapport au manga original. C’est la même histoire pour convaincre quelqu’un qui aurait vu l’anime de No Game No Life et qui hésiterait à acquérir le manga.

C’est donc un bon outil de communication, un cadeau pour les fans et également un produit d’appel. Après nous savons bien que pour ceux qui ne sont pas intéressés par une licence ça ne change pas grand chose.

Dernière question : que souhaiter à Ototo-Taifu et Ofelbe en 2018 ?

Que nous puissions suivre la même direction qu’en 2017, que nous continuions à bien nous développer, que nos lancements se passent aussi bien que l’année dernière et surtout que les titres moins connus que l’on va mettre en avant au dernier trimestre trouveront leur public car ce sont de vrais coups de cœur.

Les grandes licences autant que les coups de cœur, ce sera le mot de la fin, parfait !

Bonne année 2018 à Ototo, Taifu et Ofelbe !

Retrouvez l’éditeur sur le web à travers site et réseaux sociaux :

Taifu : site,  Facebook et Twitter
Ototo : site, Facebook et Twitter
Ofelbe : siteFacebook etTwitter

Remerciements à Guillaume Kapp pour sa disponibilité et sa bonne humeur !