La minute de silence

Publié le 18 mai 2018 par Jacquesmercier @JacquesMercier

En ce moment, je relis une série de chroniques mensuelles que j’avais écrites pour le supplément WE de La Libre. Le thème général était : « l’entre-temps », tout ce qui nous permettait de faire une pause, de réfléchir, d’être avec soi-même… J’en ferai sûrement un livre de chroniques. Voici une des premières rubriques, parue en 2001.

La minute de silence

Cette minute de silence quasi planétaire, que nous avons observée récemment et à juste titre (à propos des événements tragiques du 11 septembre 2001 à New York), m’a fait songer à l’existence et à l’utilité du silence. Existe-t-il d’ailleurs un endroit où nous l’entendons ce silence ? On le cherche dans le parc des villes, encerclé des bruits de la circulation, dans nos jardins, sillonnés des passages d’avions ou de lointains vrombissements d’autoroutes. Ce n’est jamais le vrai silence, c’est celui de « silence, on tourne ! » qui demande étrangement la parole aux acteurs. En réalité, le silence tout relatif que nous cherchons est plutôt l’absence de paroles. Et « la parole est d’argent mais le silence est d’or », extraite d’une ancienne pièce de théâtre oubliée aujourd’hui, en est la juste définition. Ce silence-là nous renvoie au plus profond de nous, vers la réflexion. Dans un superbe livre « L’esprit de solitude », Jacqueline Kelen écrit : « Le fond de l’être est d’or. Je peux y avoir accès grâce au silence et à la méditation. » Souvent, je me suis demandé ce que les êtres pensaient durant cette fameuse « minute de silence ». D’autant que la définition du dictionnaire est elle-même sceptique puisque je lis : « Silence rendu en hommage aux morts en restant debout et immobile, d’un air recueilli. » Vous lisez comme moi ? D’un « air » recueilli… Autant dire que la plupart de ceux qui l’observent ne le sont pas et pensent à la suite de leur journée, à ce qu’ils vont dire, à ce qu’ils ont oublié de faire, à leurs proches, à tout… et puis pourquoi pas ? C’est bien là l’utilité du silence : creuser en soi, faire le ménage, nettoyer ses pensées et peut-être tout-à-coup en arriver à des choses plus importantes. Longtemps j’ai cru que s’isoler était un peu égoïste. Je sais maintenant que c’est indispensable, que la solitude est une force pour mieux affronter le monde. Je dirai même qu’elle est la liberté et l’insoumission. Quand les hommes sont en groupe, ils ne pensent pas de la même façon et les pouvoirs, quels qu’ils soient, adorent ces rassemblements de masse, ces exercices d’ensemble. Savez-vous que l’Inquisition a envoyé au bûcher une Béguine de Valenciennes qui prôna dans un traité la solitude de l’âme ? Or, être seul c’est se trouver, se retrouver, se connaître, reprendre des forces. Comme j’aime les mots, je me suis demandé d’où venait cette onomatopée « chut ! » qui demande le silence (Ah ! ces bras croisés et le doigt sur la bouche de nos premiers bancs d’école !) et j’ai appris que la racine « chu » évoque le murmure comme dans « chuchoter ». Mais comme les hommes sont ce qu’ils sont, très vite le verbe chuchoter a pris une connotation péjorative de médisance. Oublions ça ! Pour en revenir au silence, on parle beaucoup dans l’actualité de la « loi du silence », l’obligation, dans les associations de malfaiteurs, de ne jamais donner de renseignements à la police sur les agissements de leurs associés. Pour ne pas faire d’amalgame facile, on parle dans les affaires de « secret professionnel », de « devoir de discrétion », de « clause de confidentialité » ou à l’inverse de « délit d’initié ». Une loi de 1978 définit d’ailleurs ce silence dans les contrats de travail. Sans doute, le chauffeur de Jacques Chirac, le chambellan de la reine d’Angleterre ne connaissent-ils pas la loi (du silence) ! Et le vrai silence, le trouve-t-on vraiment sur terre ? Il semble qu’au fond des grottes on puisse le trouver, mais là même le bruit de l’eau qui perle au bout des stalactites doit troubler le silence. Dans un bunker matelassé, une casemate isolée, peut-être, telle celle que le poète Georges Brassens s’est fait construire au fond de son jardin et dont il me fit la confidence, qui me laisse encore perplexe. Dans un cloître plus sûrement. Mais de toutes manières, il ne semble pas facile de faire silence, de trouver le silence. Alors, comme toujours, il faut faire avec ce qu’on a. Certains écrivent à la terrasse des cafés au milieu de la foule, c’est qu’ils peuvent s’en extraire. D’autres ont lors de conversations le regard vague, ils sont ailleurs (il faudra un jour que je vous parle des anges qui passent…), ils sont dans leur silence. Et puis expliquez-moi pourquoi je ne m’endors jamais mieux que devant le téléviseur qui pérore, rabâche, radote, répète et ronronne le soir venu ?

Octobre 2001