Elle surnomme à tout-va les êtres de chair et d'os qui l'entourent...
C'est La Surnommeuse, l'héroïne de Pascal Houmard. Elle s'appelle Antigona Krestaj. Elle a 40 ans. Elle est d'origine kosovare. Dans le civil, si j'ose, elle est cheffe de la Brigade Criminelle à la Police Judiciaire de Lausanne.
La photo de couverture qui la représente sous les traits de la comédienne Anna D'Annunzio donne une idée de son physique avantageux. Encore que ce soit le rire le principal atout de son charme: il illumine et il réchauffe ceux qui l'entendent...
Elle surnomme donc tout le monde. Elle a commencé petite. Elle avait fait la connaissance du bibliothécaire du bibliobus qui sillonnait la capitale vaudoise, Vincent Alignac: elle l'avait surnommé le Négrivain clandestin parce qu'écrivain il écrivait à la place d'autres écrivains.
C'est grâce à son Négrivain qu'elle a osé approcher Georges Simenon. Lequel lui a donné le meilleur des conseils pour réussir dans son métier de policière: la méthode de Maigret est de ne pas suivre de méthode, de ne pas subir le système, de rester humain, proche des autres humains...
Tous les gens qui l'entourent, Antigona les surnomme donc, en principe tout bas, en secret pour elle-même, mais pas toujours, parce que les surnoms lui échappent parfois quand elle s'adresse à eux. Mais les surnoms peuvent être aussi pour elle une marque d'affection.
Son équipe à la Crim' comprend ainsi 'tit Momo, Rime-à-rien, Chignard, Donzelle ou Joker, pour Mohammed Zitaouï, Fanny Rimeyat, Laurent Chugnard, Samuel Donzet ou Philippe Jaccard. A chaque fois, bien sûr, le surnom, qui peut être sujet à évolution, est représentatif...
Antigona elle-même se surnomme intérieurement Antigone ou Créon, selon qu'en elle domine la volonté de découvrir la vérité ou d'appliquer la loi, selon qu'en elle parle la femme ou l'inspectrice, selon qu'elle écoute son coeur ou sa raison.
L'autre protagoniste s'appelle David Morlans, l'écrivain célèbre. Son premier livre a été un best-seller. Il y a trois ans, sa femme Natalie est morte dans un accident de voiture. Il n'a plus été capable d'écrire lui-même que des acrostiches composant son prénom.
Alors, un temps, il a fait appel à un nègre littéraire: Vincent Alignac, justement. Et c'est là que le lecteur comprend où voulait en venir l'auteur avec ces deux protagonistes, car Alignac est retrouvé assassiné chez lui, dans son appartement de Lausanne, chemin de Montelly...
L'enquête menée par Antigona s'avèrera plus complexe que de prime abord, mais l'auteur sèmera des petites phrases au fil du récit, qui seront autant d'indices pour le lecteur attentif à trouver la solution; des petites phrases comme celle-ci, qui sera révélatrice:
Le plus important, ce n'est pas de vendre ce qu'on envoie, c'est de rendre ce qu'on a reçu.
Et à la fin, comme dans L'arroseur arrosé, l'inspectrice Krestaj sera à son tour surnommée la commissaire Crystal, parce qu'une enquête aussi humainement menée par elle ne pouvait aboutir qu'à une promotion bien méritée et à un surnom éclatant...
Francis Richard
La Surnommeuse, Pascal Houmard, 382 pages, Éditions Mon Village