Alors qu'une autre scandale politique fait surface - la sous-facturation de prestations de campagne par un proche d'Emmanuel Macron - la macronista s'est trouvée des diversions cette semaine.
Pour effrayer les familles et décourager les éventuels participants, le gouvernement répète et fait répéter sur toutes les ondes qu'il "craint des violences", des débordements, des excès. Il lui faut caricaturer l'opposition dans une radicalité qu'elle n'a pourtant pas pour mieux habiller en pragmatisme centriste la réalité de la politique macroniste. Mediacratie dominante et autres perroquets de la Macronista répètent leurs inquiétudes sur les débordements. Gérard Collomb promet 2000 policiers et gendarmes dans les parages à Paris.
Accuser l'opposition de violence et surmédiatiser la violence d'une poignée de racailles dans les rues de la capitale appellent une question:
Mais où est la violence ?
Faudrait-il faire un inventaire ? Emmanuel Macron fête ce weekend sa première année à l'Elysée, et une fraction croissante de la France populaire suffoque déjà. Quel est votre regret, demande une journaliste peu offensive au porte-flingue de la macronista, Benjamin Griveaux, lequel répond: "Qu'Emmanuel Macron n'ait pas été élu président de la République dix ans plus tôt, le pays s'en porterait mieux." En fait, Macron a été élu il y a 39 ans, en Grande Bretagne. Il s’appelait Margaret Thatcher.
Quelques-uns, naïfs ou menteurs, expliquent que la facette sociale de la macronista ne saurait tarder. Fin 2012 déjà, combien attendaient le fameux "tournant social" de François Hollande ? Cette fois-ci, Macron est allé franco, à fond, et sans gêne. Il a aligné un à un tous les marqueurs du conservatisme libéral.
Cet inventaire est provisoire, incomplet et déjà violent à lire.
- La réduction des APL pour les ménages modestes;
- L'élargissement du plafond de revenu des auto-entrepreneurs pour favoriser ce statut précaire;
- Le durcissement des conditions d'offre raisonnable d'emploi;
- La pérennisation du CICE sous forme d'exonération définitive de cotisations sociales;
- Le recours aux votes bloqués par les ordonnances pour la loi Travail et la réforme de la SNCF;
- Le maintien du glyphosate pour servir les intérêts de l'agro-industrie;
- La suppression de la taxe française sur les transactions financières;
- L'évacuation violente de Notre-Dame-des-Landes avant toute négociation;
- L'alignement de la fiscalité du diesel sur celle de l’essence sans compensation pour les plus pauvres ;
- L'accord sur le CETA;
- La suppression partielle des emplois aidés, principalement en milieu scolaire et associatif.
- La création du Parcoursup, outil informatisé de sélection sur dossier à l'université;
- La réduction des prestations familiales dès 2018 (-500 millions d'euros);
- Le plafonnement de la fiscalité des revenus du capital (-2 milliards d'euros);
- La suppression de l'ISF, sans contrepartie d'investissement, (- 3 milliards pour 350 000 foyers);
- La suppression de 120 000 postes de fonctionnaires;
- Le plan d'économies sur les hôpitaux publics (-1,6 milliard d'euros en 2018);
- Le harcèlement des aidants aux migrants à Calais mais la tolérance des racistes identitaires dans les Alpes;
- La réduction des délais de dépôts de demandes d'asile et de recours en cas de refus; l'allongement de la durée de rétention, la pérennisation de la rétention des mineurs;
- La centralisation de l'exercice du pouvoir;
- La pérennisation des activités de lobbying pour les députés;
- Le statu quo sur les perturbateurs endocriniens pour des raisons économiques;
- La réduction supplémentaire de 2 milliards d'euros du budget de la Sécu (déremboursements de soin, etc ) en sus des économies sur les hôpitaux susmentionnées;
- La création du contrat de travail le plus précaire, "le contrat de projet";
- La réduction des instances de représentation du personnel (avec son corollaire, la suppression de 200 000 postes de représentants);
- La rupture conventionnelle collective;
- L'extension du secret des affaires contre le droit de la presse à informer sur les entreprises.
- Le blocage d'une directive européenne qui vise à élargir le cadre des congés parentaux pour "équilibrer" l'utilisation qui en est faite entre les femmes et les hommes.
- La réforme de la SNCF, qui n'était pas dans le programme présidentiel, pour faciliter la privatisation du rail français et la fermeture des petites lignes.
Cette liste n'est pas complète.
La violence est dans cette suggestion qu'un riche qui part est un drame tandis qu'un pauvre qui reste et subit est normal, qu'un riche est supérieur aux autres hommes. Que son évasion fiscale, que la République n'ose pas appeler une désertion, est un mal plus grave que la précarisation du plus grand nombre dans le pays.
Contrairement aux mensonges des supporteurs macronistes, l'exit-tax représente environ 500 millions en moyenne par an (800 millions d'euros en 2016), pour quelque 400 assujettis.
"Je veux supprimer l’exit tax. (...) Je ne veux pas d’exit tax. Ce n’est pas logique. Les gens sont libres d’investir où bon leur semble. Si vous pouvez attirer des investisseurs, tant mieux, mais si ce n’est pas le cas, ils devrez être libres de lever le camp." Emmanuel Macron au magazine Forbes, avril 2018.
En 2019, Jupiter a promis une énième réforme des retraites pour allonger encore une fois la durée de cotisations retraites du plus grand nombre. Aucun mot ni débat sur les retraites chapeaux des patrons du CAC 40 qu'on a le plaisir de relire ou redécouvrir à l'occasion des différentes assemblées générales d'actionnaires en ce mois d'avril.
Répétons la question: où est la violence ?
La violence de Jupiter est dans ses actes et dans ses mots. Dans les canards du libéralisme mondialisé, Jupiter cache à peine sa politique de classe. Ainsi sur la loi Travail: "L’idée principale de cette réforme est de supprimer de nombreuses régulations prévues par la loi au niveau national, afin de créer plus de flexibilité et ramener de nombreuses décisions au niveau du secteur ou de l’entreprise." Réduire les moyens collectifs de protection des salariés, donner la primeur à l'entreprise où les salariés sont plus fragiles, puis supprimer des dizaines de milliers de postes de représentants du personnel, n'est-ce pas violent ?
La violence est dans cette novlangue macroniste, ce décalage entre la fausse neutralité du vocabulaire et la réalité de la précarisation des individus les plus fragiles, un décalage connu en d'autres lieux, entre d'autres temps, en d'autres circonstances. Cette novlangue souvent technocratique dépeint en mode rose et optimiste une réalité sociale difficile. Elle appelle "transformation" sa contre-révolution conservatrice qui favorise les plus aisés en espérant un "ruissellement" vers le plus grand nombre qui ne s'est jamais démontré dans l'Histoire récente. Elle anesthésie le débat politique en caricaturant ses adversaires. Elle évoque la "disruption" pour moderniser une action rétrograde.
La violence est dans ce double discours qui s'accommode du commerce des armes les plus modernes à l'Arabie Saoudite pour bombarder les populations civiles du Yémen mais donne des leçons de droits humains au boucher Bassar el Assad en Syrie; la violence est dans cette fraternisation criminelle avec le président islamiste Erdogan qui massacre les Kurdes, dans cette fraternisation ridicule avec le clown dangereux de la Maison Blanche, dans cette fraternisation suffoquante avec l'autocrate russe reçu en grandes pompes à Versailles. La violence est dans cette hypocrisie diplomatique qui abuse de grands mots pour couvrir une petite politique, une politique qui décrédibilise la République à force de dépasser bien largement les exigences parfois tristes de la real-politik.
La violence se lit dans ces sourires méprisants ou ces mépris sans sourire - Macron moquant "ceux qui ne sont rien" lors de l'inauguration d'une gare; sa ministre Agnès Buzyn souriant exaspérée quand deux infirmières à bout interpellent le président dans une clinique; Macron, encore lui, qui ne cèdera rien " ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes." Agnès Buzyn, encore elle, expliquant que la Sécu "n'est pas là pour offrir des montures Chanel à tout le monde" (N.D.R: la Sécu rembourse 2 euros par monture...).
La violence est dans cette politique du "deux poids deux mesures" qui accorde 10 milliards de réduction fiscale aux foyers les plus aisés et un peu moins en suppression de taxe d'habitation aux autres 25 millions; qui durcit le contrôle des chômeurs mais maintient le verrou fiscal pour les fraudeurs fiscaux. Qui fait des beaux discours sur le combat des femmes contre le harcèlement mais assure son ministre du budget accusé d'abus de faiblesse et de trafic d'influence.
La violence de Jupiter est celle de cette "transformation" thatchérienne qu'il veut appliquer à la France avec 4 décennies de retard. Elle se lit dans cette obstination qui méprise le dialogue social, remplacée par la "concertation" et que Jupiter répète sans sourciller: "Certains syndicats voudront peut-être organiser des grèves durant des semaines, voire des mois. Nous devons donc nous organiser. Mais je n’abandonnerai pas et je ne reverrai pas nos ambitions à la baisse car nous n’avons pas le choix."
La violence est dans les mots et les actes de ce président qui fait mine d'ignorer qu'il n'a pas été élu sur son programme. Toutes les propositions politiques en 2017 - celle des "Marcheurs", comme les autres - n'ont obtenu qu'une faible minorité des suffrages des inscrits aux élections de 2017. Cette victoire de l'abstention (57% au second tour des législatives), cet échec de la démocratie aurait mérité davantage de modestie et d'ouverture au dialogue pour refonder nos institutions et la République. Au lieu de quoi, un laquais de la France d'en haut, arrivé premier à une course éparpillé, élu vainqueur sur un référendum anti-Le Pen, se croit autorisé à parler et agir au noms "des Français".
Qui est violent ?
La violence est sociale.
Elle est au sommet de l'Etat.