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La Bicyclette bleue, Tome 1 de Régine Deforges

Par Rambalh @Rambalh
J'entame le Dossier sur La Bicyclette bleue de Régine Deforges avec ma chronique du premier tome, que j'ai littéralement dévoré et adoré et qui est un vrai coup de coeur ♥.
La Bicyclette bleue, Tome 1 de Régine Deforges

Quatrième de Couverture
1939. Léa Delmas a dix-sept ans. Sa vie se résume aux senteurs de la terre bordelaise, à la lumière des vignobles, à la tendresse des siens. La déclaration de guerre va anéantir l'harmonie de cette fin d'été et jeter Léa dans le chaos de la débâcle, de l'exode, de la mort et de l'occupation nazie. Léa va être contrainte à des choix impossibles.
Mon avis
Léa Delmas, dix-sept ans, est une gamine égocentrique, prétentieuse, fougueuse. Elle croque la vie à pleine dent et obtient tout ce qu’elle désire, si bien qu’elle est de ceux qui ne désirent que ce qu’ils ne peuvent avoir. Comme Laurent d’Argilat, son ami de toujours qui doit se marier avec une autre. Et le désir qu’elle fait naître chez tous les hommes qui croisent sa route la gonfle d’orgueil et de plaisir. Léa est une enfant, une enfant privilégiée par une vie d’insouciance, par la facilité du quotidien, une enfant qui va devoir devenir adulte d’un seul coup lorsque la Seconde Guerre Mondiale commence.
La Bicyclette bleue de Régine Deforges et, avant tout, une adaptation française du roman de Margaret Mitchell Autant en emporte le vent, demandé par son éditeur. À travers ce premier tome, l’adaptation est visible (je n’ai lu que le début du roman américain il y a longtemps mais les similitudes des premiers chapitres sont là) mais l’autrice prend rapidement son indépendance en nous livrant un premier tome exaltant et témoin puissant de cette guerre qui a secoué l’Europe puis le monde entier.
De l’été 1939 à la fin de l’été 1942, nous suivons tous les tressautements de l’histoire. Nous vivons la préparation du conflit, l’invasion de la Pologne, l’entrée en guerre de la France, la trop grande assurance française, les tressaillements qui s’immiscent peu à peu au cœur de la population, la défaite de 1940, l’appel du Général De Gaulle, la mise en place de l’occupation, la naissance de la Résistance, la mise en place de la Collaboration, la stigmatisation des minorités avec la population juive en tête de file, l’épisode terrible du Vel d’Hiv au mois de juillet 1942… C’est un pur plaisir que de suivre chaque détail historique, de prendre conscience du travail documentaire monstrueux effectué par Régine Deforges.
J'ai lu de nombreux ouvrages au cours de ma vie de lectrice, documents ou romans, traitant de la Seconde Guerre Mondiale et je peux affirmer que, dans la liste de mes lectures, La Bicyclette bleue est le roman qui m’a le plus embarquée dans l’Histoire. J’y ai retrouvé énormément de détails et de faits historiques qui m’ont happée et m’ont fait vivre avec intensité le roman. Là où beaucoup de romans et documents se contentent de certains faits, certains épisodes comme la Résistance d’une communauté, l’horreur vécue par un groupe de déportés, la tentative de survivre des français sous l’occupation… Régine Deforges nous donne tout. Elle nous raconte tout, tous les angles, toutes les victimes, tous les bourreaux, tous les français qui attendent inlassablement que les choses passent. Je n’ai pas le bagage historique pour affirmer que le roman est complet mais, pour moi, en tant que lectrice, j’ai eu l’impression du début à la fin de ma lecture d’avoir en main toute l’Histoire. Et c’est le gros point fort de ce premier tome.
Les personnages de Régine Deforges côtoient régulièrement des noms célèbres, comme Jean Cocteau ou Sacha Guitry, des noms fortement liés à la culture française, cette culture mise en avant à chaque chapitre, cette culture faisant l’orgueil de la France et l’admiration des Allemands. Cette culture qui a eu une histoire forte et trouble à la fois durant l’occupation. Régine Deforges n’hésite pas à prendre parti sur certains faits historiques d’ailleurs, toujours bien documentés, et c’est un pur plaisir.
À travers cette culture et notamment la littérature, Régine Deforges rend un superbe hommage à la France, à ce pays que chacun admirait pour sa richesse intellectuelle. Mais elle reste lucide en montrant que l’intelligence n’a pas de camp naturel et que les intellectuels n’étaient pas bons ou mauvais mais que la zone grise était bien présente.
Cette France, d’ailleurs, elle est incarnée par son héroïne, Léa Delmas, cette jeune fille qui aime la vie, qui est passionnée, insolente, forte mais si fragile à la fois. Cette France dont on disait qu’elle possédait la meilleure armée du monde et qui s’est fait écraser par l’armée allemande. Cette France qui brille par ses arts et sa gastronomie malgré la guerre. Léa incarne tout cela, par son côté fougueux et tête-brûlée, par sa façon de dévorer la vie et ses repas en période de restriction. Par le plaisir de la chair, aussi.
Léa est une héroïne de féminisme, une gamine qui apprend à grandir trop vite mais qui gardera toujours son âme d’enfant tout en devenant une femme forte, consciente de ses désirs, de ses envies, de certaines de ses faiblesses et de ses forces. Léa mange comme elle fait l’amour, goulument, avec passion. Léa navigue dans le monde comme dans les vignes du domaine familial, avec intensité et émotion, avec rage de vivre et d’aimer. Elle incarne le féminisme non pas parce qu’elle est l’héroïne parfaite mais parce qu’elle ne considère par son genre comme un obstacle et elle véhicule cette idée aux gens qui l’entourent de façon naturelle.
Léa rencontre des tas de personnes qui participent à sa construction, des personnages, principaux ou secondaires, qui sont construits à la perfection autour d’elle. De Laurent d’Argilat, l’homme d’honneur qui représente l’image de l’homme parfait aux yeux enfantins de Léa ainsi que ses désirs de jeune fille d’avant-guerre, de Camille d’Argilat qui est cette rivale fade pour elle mais qui devient finalement un pilier qu’elle ne soupçonne pas, de ses tantes incarnant cette France empâtée dans sa bourgeoisie qui vont tout perdre sauf l’essentiel, de François Tavernier qui est l’homme trop homme, justement, trop intégré dans un paysage adulte que Léa n’est pas prête à affronter intégralement, à Mathias qui montre que les choix viscéraux ne sont pas toujours liés à l’honneur, en passant par Raphaël Malh qui personnifie la définition d’égoïsme incontrôlable ou encore Sarah Mulstein qui nous fait pénétrer au cœur de l’horreur subie par le peuple juif… Chaque personnage permet finalement d’obtenir cette France diverse, ces personnalités qui forment ensuite un tout et qui permettent de mieux comprendre l’histoire, au-delà du bien et du mal, au-delà des vainqueurs et des vaincus.
Et à travers ces personnages, nous vivons l’Histoire, chaque chemin tortueux qui la façonne, à travers le regard de ceux qui savent ce qu’il se passe mais aussi de ceux qui ne voient rien, qui portent des œillères. L’épisode du Vel d’Hiv le montre, notamment, lorsque Sarah en fait le récit des semaines plus tard alors que Léa n’en sait rien même en ayant un pied posé sur le sol de la Résistance. La France s’est endormie en 1940 et rares étaient ceux qui étaient assez éveillés pour voir la réalité. C’est aussi cela qui est véhiculé dans La Bicyclette bleue : les Français n’ont regardé que ce qu’ils voulaient voir. La censure, l’oppression, l’occupation… La vérité était cachée mais elle restait accessible pour qui voulait avoir les yeux grands ouverts mais, surtout, qui était capable de la supporter, cette vérité.
Ce premier tome a été un pur régal, une plongée délectable dans l’histoire malgré les horreurs qui y sont décrites. Régine Deforges nous offre avec une fiction un véritable moyen de plonger dans des faits réels et c’est effectué avec une remarquable maîtrise. Les films sont bien fades à côté de l’œuvre et le féminisme qui s’échappe de chacune des pages est à louer quand on sait quelle place a tenu l’autrice en tant que femme dans le monde de la littérature.
« À quoi bon vous détromper, petite fille ?
J'ai des bonheurs, mais jamais un bonheur complet. Je suis habité par une souffrance aiguë, confuse et profonde, qui ne me quitte jamais. A vingt ans, je voulais écrire un livre sublime; maintenant, je me contenterai d'un bon livre. Car ce livre, Léa, je le porte en moi. Mon travail d'écrivain, c'est le seul que j'aime vraiment, et c'est le seul que je ne parviens pas à faire. Tout me distrait et m'entraîne, je m'éparpille. J'ai l'ambition d'une gloire future, mais pas d'ambition quotidienne. Tout me lasse très vite. J'aime toute le monde et personne, la pluie et le beau temps, la ville et la campagne. Je garde au fond de l'âme la nostalgie du bien, de l'honneur et des lois dont je ne me suis jamais soucié. Quoique fâché de ma mauvaise réputation, j'ai la faiblesse d'en tirer vanité. Ce qui me nuit, voyez-vous, c'est de n'être pas un vicieux absolu, d'être généreux jusqu'à l'extravagance, le plus souvent d'ailleurs, par lâcheté, de n'avoir jamais fait semblant d'être un demi-vertueux, c'est-à-dire, comme tout le monde au fond, de préférer les mauvais garçons aux hypocrites qui prétendent avoir de l'honneur alors qu'ils en ont à peine plus que moi. Je ne m'aime pas, mais je me veux du bien.
»
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