Plutôt que d'écrire une critique ciné sur "Valse avec Bachir", j'ai commis un petit texte poétique que voici.
On jouait « Valse avec Bachir »
Le réalisateur se bat
Avec sa mémoire
Qui lui refuse
La guerre du Liban dans laquelle il fut soldat israélien
Lui refuse
Ces massacres de civils qu’il approcha de si près
Sabra et Shatila
Qu’elle les gomma
Patience et obstination le conduisent
Les témoins eux aussi acteurs
En dessin animé
Lui disent
Cet instant minime
Celui dont chacun porte la misère
L’un sa nage insensée contre la nuit et la peur du lâche qui sauve sa peau seul l’instinct de survie
L’un l’enfant au lance-roquette dans le verger, en face, explosé
Et lui, lui
Voit des hommes se relever de la mer, des soldats
Signes muets
En dessin animé
L’autre raconte ce soldat devenu fou en pleine fusillade valser avec son arme sous les tirs
Valse de Chopin
Valse
Par quelle légèreté, surpris ?
Les hommes, inlassables, se relèvent de la mer, les soldats
Ne disent toujours rien
On part à la guerre comme on part en vacances
La musique à fond et l’alcool à flot
Les chevaux aussi meurent sous les balles
Les chiens
Patience et obstination
Quelques bribes émergent avec les soldats
En dessin animé
Le film se rapproche du massacre des civils
Se rapproche
Ceux qui racontent
S’estompent
A force de se lever de la mer les soldats
Cèdent la place aux images concrètes
Puissantes
Les corps morts
Les corps mutilés
Les corps
Insupportables les corps
Et ce ne sont plus des dessins animés mais des images documentaires d’archive
Puissantes et fermes
La mémoire enfin cédant ?
J’étais paralysée sur mon siège
Prise aux tripes
Laissant tomber le génériqueMot à mot
Note à note
Nom à nom
Sidérée
Les autres aussi sans doute
Pas un mouvement dans la salle stupéfaite
D’un coup
D’autres personnes là, à l’entrée de la salle, juste devant la porte, avec des téléphones portables écrans allumés tenus comme pour filmer
Naïvement j’ai pensé
Naïvement
Qu’ils venaient pour capturer quelques imagesGarder eux aussi mémoire
Revenir
Et capturer
En clandestins
Naïvement
Des filles avec des t-shirts blancs se sont mises à brailler
L’une a couru sur la scène devant l’écran
Et s’est trémoussée pour les téléphones photographes
Sous leurs cris de joie
Elle était vraiment
Elle était vraiment
Elle était vraiment
Phé-no-mé-na-le
Enterrement de vie de jeune fille
Comme un samedi
Gage réussi
Et ce n’était même pas une valse
J’ai dit à l’une que le film était mal choisi
Elle m’a demandé
Quel film
C’était
Elle a baissé la voix
Ces jeunes filles ont cru que le cinéma ce simple divertissement
Supportait bien un viol
Ce simple divertissement
En dessin animé
Et puis, juste
Le générique
Ce que la joie et les autres rendent bête
Insensible
Est-ce qu’on arrache la couverture d’un livre parce qu’il est terminé ?Sur mon vélo je pleurais
D’autant d’indécence idiote
Je pleurais
En rejouant en moi-même la valse de Chopin