Inexprimable schizophrénie

Publié le 02 mai 2018 par Lana

Aujourd’hui, j’ai participé au tournage d’un documentaire sur les troubles psychiques.  Je m’en suis bien sortie, mieux que ce que je croyais, je n’ai pas bafouillé, j’ai terminé mes phrases, je n’ai pas parlé trop vite, et les gens qui étaient là ont paru intéressés.

En rentrant, dans le train, j’ai repensé à tout ce que je n’avais pas dit. Tout ce que j’aurais pu dire. J’ai trouvé que je n’avais pas assez bien expliqué ce qu’était la schizophrénie. Ca m’a fait mal au cœur. Je ne savais pas si je me sentais mal d’avoir reparlé de tout ça (CA, comme je dit souvent au lieu de dire schizophrénie) ou parce que je ne m’étais pas assez bien exprimée à mon goût.

Les deux sont possibles. D’un côté, il y a quelques jours, je me demandais si j’étais vraiment schizophrène, parce que je vais bien et que j’ai l’impression parfois de n’avoir jamais été malade. Alors, me replonger dans tout ça, ce n’était pas facile, c’était remuer de la souffrance, me rappeler que j’avais été bel et bien malade.  De l’autre, il y a le côté inexprimable de la schizophrénie. J’ai beau en parler, je ne le fais jamais comme je le voudrais, jamais assez bien, jamais assez clairement, jamais assez complètement.  C’est d’ailleurs pour ça je crois que je ne cesse d’en parler, d’écrire sur ce sujet, pour essayer de faire mieux que la fois précédente.

Les choses les plus importantes dans la vie des gens sont en général l’amour, la naissance d’un enfant, le deuil. Les choses les mieux partagées du monde. La chose la plus importante dans ma vie, qui l’a le plus bouleversée, la plus dure, la plus intense, ça a été la folie. Ca a été de vivre dans l’autre monde, d’être seule sur l’autre rive. Depuis le début, j’ai essayé de créer des ponts, j’ai espéré que quelqu’un me parle. Pendant longtemps, ça  n’a pas eu lieu. Et c’était un drame, ça m’enfonçait encore plus dans la maladie. Aujourd’hui, je parle, j’ai retrouvé une voix, des mots, et des gens m’écoutent. Je ne suis plus dans l’autre monde. Mais comment parler des innombrables symptômes? Comment rendre compte de l’angoisse insondable? De la douleur terrible de la dépression? Je ne sais pas. Je cherche toujours. Et d’avoir vécu cette expérience inexprimable, oui, ça me fait mal au cœur, de ne pas arriver à la dire comme je le voudrais aussi. Ce ne sont plus les gens en face de moi qui sont en cause, au contraire, j’ai rencontré beaucoup de gens très à l’écoute et compréhensifs, ça vient uniquement du caractère si étrange de cette maladie qu’il n’y a pas de mots pour la dire et que ça me renvoie à cette expérience solitaire qu’elle a été.