Une écriture bien ancrée même si s’élaborant « dans la culbute de l’infini ». Pierres, fleurs, insectes, arbres, chatte, soleil, murs, maison, mer, partout la terre déplie ses richesses vécues avec un sentiment d’intime proximité, de profonde osmose, même. Et, au cœur de tels frôlements et échanges, le poème de B. Bonhomme cherche et parvient à saisir quelque chose de l’intemporalité, de l’aspatialité de notre traversée des phénomènes de l’être, de notre conversation intérieure avec eux, ce dialogue fait, comme écrit Yeats, d’ « un peu d’air », trace viscérale mais flottant dans l’immensité « anonyme », indicible, la lumière de sa substance « brûlée », lisons-nous.
Ode, certes, mais Dialogue avec l’anonyme hésite également entre élégie et chant, entre poème d’adieu, de deuil, et louange. Long et patient, avec des insistances, des reprises et des anaphores qui en trahissent la délicate intensité affective et méditative, le poème, je suis tenté de le croire, a quelque chose de l’epithalamium, dans la mesure où, ici, malgré tristesse et angoisse, il parvient à épouser, non pas la spécificité d’une seule identité bien-aimée, mais, en excédant les signes, plutôt cette vaste, cette fourmillante et inimaginable présence, au-delà de toute disparition, tout devenir strictement mortel, que la Chandogya Upanishad appelle, tout simplement, Cela. Épousant, parfois péniblement et pourtant avec une tâtonnante intuition, un certain sacré refusant de céder au profane qui, ainsi, se sacralise au sein de son inconcevabilité, « secret ignoré, comme une chose précieuse et méconnue, comme une espérance folle et anonyme ».
Michaël Bishop
Béatrice Bonhomme. Dialogue avec l’anonyme. Collodion, 2018. 56 pages.
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