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Indigène de la nation de Slimane Dazi

Publié le 02 mai 2018 par Africultures @africultures

Avec Indigène de la nation, sorti le 3 mai chez Don Quichotte, l’acteur Slimane Dazi se raconte. A partir d’une colère profonde face à la négation récurrente de ses identités multiples, notamment celles nées d’une histoire politique entre la France et l’Algérie, il documente aussi les réalités des banlieues françaises des 40 dernières années. Un acte résolument politique.

Il est un des Dernier parisien, le “grand frère”, dans ce film de Ekoué et Hamé, du groupe La Rumeur, sorti en 2017. Il est de ceux dont on dit qu’ils ont “une gueule”, de ces têtes qui marquent les esprits. La vie est un combat, lit-on entre les rides et la profondeur du regard aux yeux bleus de Slimane Dazi. A l’aube de la soixantaine, l’acteur qui a commencé sa carrière, à 40 ans, dans Rengaine de Rachid Djaidani, là encore dans un rôle de “grand frère”, et qui a été révélé au grand public dans Un Prophète de Jacques Audiard, se raconte dans Indigène de la nation.

La parole se délie après une crise cardiaque, en 2015, une frayeur qui quelque part vous oblige à vous interroger sur le chemin parcouru. Et ce,  alors que Slimane réalise qu’il n’a pas fait le deuil de son père, “[son]chibani”, parti un an plus tôt. Il s’agit donc de plonger dans l’histoire familiale, depuis l’Algérie française du grand-père, au Titi parisien qu’est devenu Slimane, “une histoire […] aussi douce que brutale, qui faisait de moi un être double, doublement riche, doublement déchiré”. Une histoire de l’enfance à l’âge adulte, qui s’entrelace de chapitres sur le rapport à l’administration française. Le récit de quelqu’un qui a passé toute sa vie en France, mais qui n’est pas français sur le papier comme ne cesse de le lui rappeler chaque passage de frontières, ou les violences clairement de caractères racistes perpétrées par certains représentants des forces de l’ordre. Sans oublier les rôles de cinéma qu’on lui propose parfois. Toute sa vie, il n’a de cesse de se retrouver confronté à ce miroir de l’idée que se fait la France d’elle-même et qui ne l’inclut pas pleinement. Il se souvient d’ailleurs, de celui, qui devient le modèle du passionné de foot qu’il est depuis l’enfance, tout autant que l’illustration d’une colère qui ne peut se taire : le footballeur Salif Keita. “J’avais trouvé là un destin qui me faisait rêver, et un homme auquel je pouvais m’identifier”, “Nous n’avions d’yeux que pour lui, pour sa réussite exceptionnelle sur une terre qui ne lui était pas promise, pas plus qu’à nous”. Le football, terre des enjeux politiques, miroir aussi des sociétés. “Malgré tous ses diplômes avec mention, malgré son travail d’exception, malgré l’étendue de son art, eh bien, non [le]salaire [de Salif Keita]n’était pas même égal à celui de ses co-équipiers blancs. Sa colère digne […] rejoint la mienne, celle de l’indigène que je suis”.  

Slimane Dazi est né, en Ile-de-France, en 1960, français sous la colonisation. Il a la nationalité algérienne choisie par ses parents en 1962. Aujourd’hui, on voudrait qu’il choisisse la “réintégration nationale » : c’est à dire devoir “prouver” encore et encore qu’il est bien français, depuis toujours. Alors surgi la fatigue, notamment face à toutes celles et ceux qui ne comprennent pas la profondeur de cette douleur portée au quotidien … “J’ai l’impression que je suis toujours obligée de montrer patte blanche, et qu’il faut qu’on aille en plus me chercher des poux dans la tête… C’est comme un oignon. On enlève une couche,  et puis deux, et puis trois […] A la vingtième, quand tu fais ça tous les jours, tu n’as plus de protection, plus de résistance, il ne reste que les os qui sont usés. Tu es rompu, usé par toutes les humiliations”.

Portrait d’un grand frère

Slimane Dazi inscrit sa trajectoire dans celle des “grands frères” des banlieues populaires parisiennes,  dans cette “première génération d’enfants d’immigrés, la première à naître du grand chantier des guerres d’indépendances”. Une “génération maudite” : “on ne nous connaissait pas, analyse-t-il, on ne nous reconnaissait pas et nous avions nous mêmes du mal à nous connaître. Nous allions le payer cher et longtemps”. Le banlieusard raconte : il se souvient des fameux bidonvilles de Nanterre tout proches de la maison familiale, où s’entassent des travailleurs français des colonies nord et ouest africaines. Son père, ouvrier en métropole, est un de ces « zoufri » qui participent à la reconstruction de la France et à la guerre d’indépendance algérienne. Slimane se souvient aussi de ses premières vacances en Algérie, en 404 break, de ses amitiés fondatrices au quartier. Et puis, du virage des années 1980-1990, époque où les drogues ravagent son environnement francilien. « Les familles explosaient. La cité aux couleurs fleuries avait pris un sacré coup de gris. L’épidémie était une pieuvre géante dont les tentacules s’étendaient sur toute la périphérie de Paris pour lâcher son poison. La came nous fut imposée comme une dictature. Elle était arrivée sournoisement du coeur de Paris pour s’enraciner dans nos banlieues, pourrir dans nos caves et pour pénétrer nos vies”. Et Slimane d’analyser, en témoin de premier plan, la faillite de l’Etat français, son mépris à l’égard de ces espaces populaires tout autant que celui de militants opportunistes qui en ont fait des lieux de tremplin politique, à l’instar des « SoS Racisme » et consorts : « Ils sont les complices actifs de grande tuanderie, de ces zones de non droit, des ghettos qui sont nés par leur administration, qu’ils ont cautionné à coups d’offrandes détournées ».

Slimane Dazi exerce plusieurs petits boulots, notamment sur les marchés. Féru de soul et de funk, il écume les boîtes de nuit parisiennes, dont beaucoup sont aujourd’hui fermées, et qu’il nous fait revivre avec Marvin Gaye en bande son. C’est aussi l’époque où il construit sa famille. Quant au cinéma, c’est une passion qu’il cultive plutôt seul, et c’est à l’aube de la quarantaine, alors qu’il est ventouseur pour des grandes productions de cinéma, qu’il commence, sur le tas, sa carrière. Et ce, avec l’ami Djaidani avant la révélation de Audiard : “[Audiard] réalisa un vrai film populaire avec des Arabes, des Corses, des Noirs, des métèques. Il fit un film sur la France que je connais et il me propulsa dans une autre dimension”.  Et c’est là que se termine Indigène de la nation, avec le Slimane que l’on voit désormais sur les écrans de la télévision ou du cinéma.

Ce livre est un acte politique, un regard dans le miroir de Slimane Dazi, un récit qui rend hommage à cette “génération maudite”, qui rend hommage aux camarades partis trop vite, qui rend hommage aux parents et à leurs silences pudiques sur leur histoire. C’est aussi un miroir tendu à la société française, à ses profondes inégalités entretenues sur fond de mémoires niées, d’histoires tronquées. Il faut écrire l’histoire de France dans toutes ses composantes, et la trajectoire de Slimane Dazi avec Indigène de la nation, y contribue brillamment.


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