Critique de Sandre, de Solenn Denis, vu le 5 avril 2018 à la Maison des Métallos
Avec Erwan Daouphars, dans une mise en scène de Collectif Denisyak
Mon Avignon OFF 2017 n’était pas un bon cru : je n’y ai rien vu de réellement transcendant et suis probablement passée à côté de quelques perles – problèmes des festivaliers du début. Quand les noms des « pépites » commencent à sortir, il est déjà temps pour moi de remonter vers la capitale. Ma chance, c’est que ces spectacles-là remontent bien souvent vers Paris la saison suivante, me permettant ainsi de rattraper mes actes manqués : ainsi, en quelques semaines, j’enchaîne 1336 présenté au 11 Gilgamesh, et Sandre, qui se jouait à La Manufacture – deux salles sur les programmes desquelles je me pencherai encore plus attentivement cette année…
Le sous-titre annonce la couleur : Sandre, confession d’une Médée moderne. Il n’est pas trompeur et ne gâche en rien le déroulé du spectacle : ce n’est pas la fin qui importe ici, mais bien le quotidien, la vie de cette femme abandonnée et ses conséquences sur son quotidien qui vont nous préoccuper. Elle était pourtant sûre qu’un homme bien nourri revient toujours au terrier. Quand il lui annonce qu’il a rencontré une autre femme et qu’il va la quitter, c’est un monde qui s’écroule, petit à petit. Il va la laisser seule. Ou pas tout à fait, puisque dans son ventre grandit déjà le témoin d’un amour qui a existé, mais qui n’est plus.
Lors du bord de plateau qui a suivi le spectacle, Solenn Denis a déclaré s’être inspirée de faits divers de femmes infanticides, pour lesquels les commentaires sont éternellement outrés. Sans vouloir expliquer ce fait, ni le justifier, ni le condamner elle a voulu leur donner la parole. Le texte reste très quotidien tout en maintenant une tension sans équivoque. Le passage à l’acte ne sera pas décrit et c’est bien mieux comme ça – l’imaginaire peut ainsi continuer à alimenter cette vie de femme en apparence si ordinaire. Mais sans aller contre cette forme, j’aurais attendu peut-être plus de mordant, plus de concret, peut-être tout simplement une partition plus importante pour cette femme qui aurait tant de choses à dire. De ce côté-là, je reste un peu sur ma faim.
En revanche, je dois reconnaître que le dispositif m’a complètement convaincue. Pas difficile de l’imaginer dans une salle du OFF : un fauteuil, une lampe, une tasse de café. Le comédien ne bougera pas, ou si peu. Sur le plateau des Métallos, cela apparaît peut-être encore plus impressionnant : l’île sur laquelle vit ce personnage à présent, seul au milieu d’une scène froide et vide, marque encore plus sa solitude et son enfermement progressif. Enfin, et sans vouloir en dévoiler trop, j’ajouterai simplement que la déconstruction progressive de ce décor est à la fois belle, explicite, et menaçante. Une belle trouvaille.
C’est un homme qui joue cette femme. Je pourrais ne pas l’écrire mais certains se poseront peut-être la question en voyant les photos. Peut-être me la serais-je posée si je les avais vues avant le spectacle. Car pendant la pièce en elle-même, à aucun moment cette réflexion ne me vient à l’esprit. Erwan Daouphars, comédien que je découvre avec le texte, incarne cette femme avec une délicatesse, une sensibilité et une force que j’aurais pu qualifier de « féminines » il y a quelques temps. Je me contenterai simplement de souligner la puissance de sa composition, et son regard, poignant, dont mes yeux auront du mal à se détourner. C’est dans ce regard que j’ai puisé le plus d’émotions. Dans ce regard, il y a une vie. Une vie entière.
Un collectif à suivre, assurément.