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Comme dans Rouler, de Christian Oster, roman paru simultanément en édition originale, quelqu’un prend le volant. Mais Paul a un but : malgré le « rhume colossal » qui lui embrouille le cerveau, il se rend dans la maison familiale, à trois cents kilomètres, pour vérifier, comme son frère jumeau Odd le lui a demandé dans un courrier, « que le robinet d’un lavabo du second étage, à propos duquel il conservait un doute, a bien été purgé avant son départ. » Le décor dans lequel Paul, épuisé, se réfugie sur un canapé avec une boîte de kleenex, est glacial malgré le feu qu’il allume. Il est aussi empli de souvenirs. C’est dans ce fauteuil de vieux velours jaune que s’asseyait le père jusqu’à son départ, cinq ans avant qu’un avis de décès arrive de Malaisie. C’est dans cette maison que les six enfants ont grandi avant de prendre leur destin en mains, avec plus ou moins de réussite – une des trois sœurs est internée, les deux autres sont mariées, Harald semble avoir connu une belle ascension sociale, au contraire d’Odd qui est un naufragé de l’existence. Malgré la neige, Paul se rend au village, fait un bout de chemin en tracteur. On le prend pour son frère, il ne pense pas à contredire, engoncé dans une mollesse qui ne doit pas être seulement la conséquence du froid et du rhume. Mais ceux-ci participent à la manière dont les pensées du narrateur s’effilochent et entrecroisent leurs trajectoires, appelant des images du passé et se nourrissant d’hypothèses vagues. Parmi lesquelles celle-ci s’impose avec un peu plus de force que les autres : Odd, qui est parti sans donner d’informations sur ce qu’il avait l’intention de faire, est peut-être en route pour la Malaisie où il chercherait des traces du séjour qu’y fit leur père… Tout à la fin, le roman retombera sur ses pieds, avec une explication limpide et une liquidation définitive du passé. On en sort lesté du poids de plusieurs vies, condensées en une centaine de pages qui éclairent sur les personnages en même temps qu’elles posent, entre eux et nous, un obstacle translucide à travers lequel les jeux d’ombres ne précisent pas tout. Un peu comme si, dans la maison froide, Paul projetait son haleine sur une vitre et que celle-ci s’y figeait dans une sorte de brouillard. Un avenir est un livre magique. Inutile d’essayer d’y trouver une trame romanesque qui servirait de point de repère. Le territoire s’affirme dans le flou dont il fait sa matière, instable et changeante, à la manière d’un paysage qui se modifie au fur et à mesure qu’on l’examine. Véronique Bizot utilise une langue déhanchée et assez souple pour servir son projet.