Chacun de mes livres se compose d'un certain nombre de séquences qui ont entre 5 et 10 pages chacune. À l'origine, il y a l'écriture de 400 à 500 pages de prose pour chacune de ces séquences, ce qui explique qu'il me faille à peu près six ans pour faire un livre ! Cela se passe dans de gros cahiers : j'écris une prose sur la page de droite où je prélève ensuite certains moments que je rapporte sur la page de gauche. Le but de ce travail de prose est de permettre d'entrer dans un espace mental propre au travail d'écriture. Ce travail peut se poursuivre très longtemps, jusqu'au moment où "ça accroche". Et quand le texte prend forme, c'est toujours quelque chose qui se distribue sur plusieurs pages, car pour que le récit ait lieu, il est essentiel que cela circule avec des pages en regard à droite, à gauche, de même que sont importants "la tourne" entre les pages et la présence du volume : si vous voulez, j'écris toujours dans le livre, toujours déjà dans le livre. Ensuite, quand il y a quelques pages — une ébauche —, le propos devient de nettoyer la langue. Comment ? En traquant, supprimant systématiquement tout ce qui peut être métaphore, assonance, allitération – et de voir quel récit fait jour, ce qui pointe et ce qui reste dans cette langue – cette langue dans une langue. »
Claude Royet-Journoud, cité par Emmanuel Hocquard, in Le Cours de Pise, P.O.L., 2018, p. 447.
Image extraite du Cahier du refuge n°197.