Magazine Humeur

Une librairie fantastique

Publié le 30 avril 2018 par Feuilly

Je cherchais, depuis quelque temps déjà, une édition originale de Julien Gracq. Comme mes démarches n’aboutissaient à rien, une connaissance m’avait donné l’adresse d’un bouquiniste obscur qui passait pour collectionner quelques raretés.

— Va donc y jeter un coup d’œil, m’avait-il dit, si tu ne trouves pas là ce que tu recherches, tu ne le  trouveras nulle part ailleurs.

Je n’avais rien à perdre, aussi avais-je donc décidé de suivre son conseil. La fameuse boutique se situait, paraît-il, près de la place de la mairie à La Louverie. Comme ce n’était pas trop loin de chez moi, je me suis donc mis en route. Trouver la mairie ne fut pas un problème, par contre trouver un emplacement de parking le fut bien davantage. Après avoir tourné pendant une bonne demi-heure, il fallut bien me résoudre à garer ma voiture dans un quartier passablement éloigné du centre névralgique et politique de cette cité au lourd passé industriel. Après avoir longé à pied quelques rues aux maisons basses et avoir traversé des friches et des terrains vagues où, je suppose, devaient être implantées autrefois les usines qui avaient fait la prospérité de la région, je me suis enfin retrouvé sur la place de la mairie. C’était une espèce de grand espace désert, entouré de bâtiments administratifs et d’une banque. En tout cas, rien dans ce paysage  qui ressemblât à une échoppe de bouquiniste.  J’ai fait deux fois le tour de la place, puis j’ai parcouru dans les rues adjacentes, rien. Je commençais sérieusement à me demander si mon ami ne m’avait pas fait une méchante blague aussi, pour en avoir le cœur net, ai-je abordé le premier passant rencontré. C’était un adolescent, plongé comme de bien entendu dans la lecture de son portable. Il parut passablement étonné que je lui adresse la parole et j’ai débord cru qu’il allait s’enfuir. Mais non, poliment, il a ôté le casque qui recouvrait ses oreilles et m’a écouté attentivement.

Une librairie dans le quartier de la mairie ? Non, ça ne lui disait pas grand-chose. Il faut dire qu’il n’était pas grand amateur de livres, mais quand même, il aurait dû la connaître, il était du coin. Non, franchement il ne voyait pas. Il interpella alors un de ses copains, qui lui aussi semblait plongé dans la lecture attentive de son Iphone. Celui-là ne lisait pas non plus et honnêtement, les librairies, ce n’était pas son truc, mais il croyait savoir que dans une des rues adjacentes, il y avait du côté droit une petite ruelle où pourrait bien se trouver ce que je cherchais. En tout cas, lui qui trainait sur la place à longueur de journée,  il avait déjà vu des passants sortir de cette ruelle en tenant des bouquins sous le bras. Après avoir remercié les deux jeunes, je pris donc la direction indiquée et en effet, je trouvai la ruelle en question et tout au bout la librairie tant recherchée. J’en poussai la porte avec une joie non dissimulée, persuadé que j’allais enfin mettre la main sur le fameux original de Gracq  que j’espérais trouver depuis si longtemps.

Une fois à l’intérieur, je compris immédiatement que je m’étais trompé d’enseigne, car on ne vendait ici que des bandes dessinées. Pourtant, loin d’être déçu, je suis immédiatement resté en admiration devant ce qui s’offrait à moi. J’étais entré dans une véritable caverne d’Alli Baba. Les étagères couvraient les murs jusqu’au plafond et il n’y avait pas un rayonnage qui ne fût entièrement rempli. Je ne sais pas combien de bandes dessinées devaient se trouver là, mais assurément je n’en avais jamais vu autant. 

— Bonjour, me dit le libraire.

— Heu… Bonjour.

Je ne l’avais pas vu, celui-là ! A moitié caché derrière son comptoir sur lequel s’empilait un amoncellement de boîtes et de livres, je n’avais même pas remarqué sa présence, tout occupé que j’étais à admirer la somme prodigieuse de bouquins que renfermait cette boutique. Car c’était bien d’une boutique qu’il s’agissait. Rien de pompeux, ici, pas d’étagères en chêne ou de comptoir vernissé. Non, mais de vieux rayonnages qui ployaient sous le poids des volumes. Le tout avait une vague ressemblance avec les vieilles épiceries de village, que nous avons tous connus dans notre prime enfance. Aucun luxe en ces lieux, mais on y trouvait de tout.

— Vous cherchez quelque chose de précis ?

— Heu non, ou plutôt oui, mais je crois que je me suis trompé de librairie. Cependant, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je vais quand même jeter un coup d’œil.

— Faites seulement, faites, les livres sont là pour être admirés et consultés.

Cette réponse me plut. J’avais affaire à un passionné, cela se sentait, et d’ailleurs l’atmosphère qui se dégageait de toute la boutique le prouvait à suffisance. Je m’avançai sur un vieux tapis tout usé, qui laissait voir par intermittence le carrelage qu’il avait dû recouvrir un siècle plus tôt, mais qu’il était bien incapable de dissimuler aujourd‘hui, tant il était troué. Curieusement, ce détail me plut au plus haut point. Manifestement le tenancier n’était pas là pour faire fortune ni pour épater le client. Non, s’il se tenait derrière son comptoir, ce n’était pas pour compter les billets de banque gagnés au cours de la journée, mais parce qu’il aimait les bandes dessinées et qu’il voulait faire partager sa passion. C’était son métier, cependant, et on se demandait bien comment il parvenait à boucler les fins de mois, car j’étais manifestement le seul curieux à flâner entre les rayonnages. Pourtant, la quantité de livres présents prouvait qu’on n’était pas à la fin d’une époque plus glorieuse ou à la veille d’une faillite. Il fallait croire que le bonhomme parvenait à s’y retrouver tout de même, même s’il ne devait pas rouler sur l’or.

Je continuai ma visite et passai dans la seconde salle. C’était un capharnaüm incroyable ! Non seulement les mêmes rayonnages continuaient à couvrir les murs jusqu’au plafond, mais en plus il fallait cheminer entre des caisses non déballées qui constituaient une sorte de labyrinthe au milieu de la pièce. Ajoutez à cela un radiateur volumineux et décentré qu’il fallait contourner, et une ou deux tables où s’amoncelaient pêle-mêle des jeux vidéo et des livres sur la forêt de Brocéliande ou les légendes galloises et irlandaises. Au sol, le même tapis miteux continuait d’avouer son âge et montrait à travers ses nombreux trous un carrelage d’une époque elle aussi révolue. Tout au bout, derrière une pile de bouquins, une jeune femme se tenait debout. Elle me sourit et me fit un petit signe de la main. Ce devait être l’épouse du libraire et je lui rendis son sourire.  

(à suivre)

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