Monet et après

Publié le 29 avril 2018 par Pantalaskas @chapeau_noir

« Nymphéas. L’abstraction américaine et le dernier Monet »

Faut-il tuer les curateurs ? A cette question radicale qui revient de temps à autres, l’exposition « Nymphéas. L’abstraction américaine et le dernier Monet » au musée de l’Orangerie à Paris apporte un démenti indiscutable. Car l’argument qui prévaut dans ce parcours lumineux incite à préserver cette espèce qui, pour le moment, n’est pas en voie de disparition. La commissaire d’exposition Cécile Debray, conservateur en chef, directrice du musée de l’Orangerie, nous fait, dans ce lieu qui abrite les « Nymphéas »,  le cadeau d’un éclairage somptueux sur un moment d’histoire.
En 1955, Alfred Barr, alors que les grandes fresques nées dans l’atelier de Giverny commencent à attirer l’intérêt des collectionneurs et musées, fait entrer au Muséum of Modern Art de New York un grand panneau des Nymphéas (W1992) de Monet. « Monet est alors présenté comme « une passerelle entre le naturalisme du début de l’impressionnisme et l’école contemporaine d’abstraction la plus poussée » de New York, ses Nymphéas mis en perspective avec les tableaux de Pollock, tels que Autumn Rhythm (number 30), 1950. La réception du dernier Monet s’opère alors en résonance avec l’entrée au musée de l’expressionnisme abstrait américain. »
Déjà dans le premier accès à la salle des « Nymphéas » à l’Orangerie, une petit tableau d’ Ellsworth Kelly donne un avant-goût de ce qui attend le visiteur en sous-sol dans ce qu’il ne faut pas appeler une confrontation mais bien davantage une osmose entre Monet et les peintres de l’abstraction américaine des années cinquante, soixante notamment.
C’est sur ce moment précis de la rencontre entre la redécouverte des fresques de Monet et la consécration de l’école abstraite new-yorkaise que l’exposition du musée de l’Orangerie se fonde à travers une sélection de quelques œuvres tardives de Monet et une vingtaine de grandes toiles d’artistes américains tels que Jackson Pollock, Mark Rothko, Barnett Newman, Clyfford Still, Helen Frankenthaler, Morris Louis, Philip Guston, Joan Mitchell, Mark Tobey, Sam Francis, Jean-Paul Riopelle et Ellsworth Kelly.
Quand on est, comme c’est mon cas, presque inconditionnel de Joan Mitchell, le quadriptyque qui ouvre l’exposition, place d’entrée ce visiteur dans un état de délectation qui ne le quittera plus jusqu’à la fin du parcours.

Joan Mitchell

Ce n’est évidemment pas un hasard si la peintre américaine s’était fixée à Paris dès 1959, puis, quelques années plus tard, à Vétheuil, en bord de Seine, à proximité de la maison même où avait vécu Monet avant que ce dernier s’installe tout près à Giverny. Bien que Joan Mitchell aurait toujours refusé que l’on compare ses peintures avec les dernières œuvres de Claude Monet à Giverny, tout semble indiquer le contraire avec cet attrait pour la nature, cet intérêt pour la couleur et la lumière, le tout destiné à une surface monumentale, plane, sans point de fuite. Celle qui partagea avec le peintre Jean-Paul Ripoelle (également présent dans l’exposition) une passion dévorante, occupe dans ce parcours une place légitime et chatoyante.
Ce n’est peut-être pas le moindre paradoxe de découvrir dans une saisissante œuvre achrome de Rothko cette vibration de la lumière et de la couleur qui associe Monet et les abstraits américains. De Sam Francis à Pollock, cette liberté absolue de la peinture, les peintres américains la doivent-ils à Monet ?  A défaut d’apporter une réponse définitive à cette question, c’est la délectation d’un moment d’exposition privilégié qui, me semble-t-il, reste l’essentiel de cette déambulation rayonnante.

Photo de l’auteur

« Nymphéas. L’abstraction américaine et le dernier Monet »
13 avril – 20 aout 2018
Musée de l’Orangerie
Jardin des Tuileries
Paris 1er