Les paradoxes temporels n’en finissent plus de donner du grain à moudre aux scénaristes cherchant à en exploiter les parts d’ombres, de mystère, et de complexité. Afin de proposer un récit riche en rebondissements, oui, mais aussi trop souvent, avouons-le, pour masquer autant que possible l’absence réelle de véritables idées. De mise en scène, thématiques, ou simplement narratives, rares sont celles à émerger une fois passée la potentielle surprise des débuts, voire dans le meilleur des cas, l’irruption momentanée d’un état de sidération réel mais passager. Toute la problématique des films à concepts plus que de fond est là : baser l’entièreté de sa proposition sur sa mécanique et sa structure, au risque de prêter le flanc au décrochage du spectateur par manque de consistance par ailleurs.
Un écueil usuel symptomatique d’un manque de maîtrise des ressorts dramatiques d’un long-métrage (à plus forte raison fantastique), auquel Origami se voit d’entrée de jeu confronté, un quart d’heure (à peine) suffisant à Patrick Demers pour abattre l’ensemble des cartes maîtresses qu’il pouvait avoir en main. Un « all in » un rien suicidaire lorsqu’il reste alors encore une heure trente de film à combler, la majeure partie des révélations à venir étant de facto éventées, du moins aisées à anticiper. Une donne qui ne serait préjudiciable si le corps et le cœur du récit apportaient de leur côté suffisamment de matière pour s’accrocher. Or dès que la question du remord et du deuil surgit, question du reste simplement évoquée et montrée telle quelle à l’écran sans aucune velléité d’approfondissement, Origami ronronne, temporise en rabâchant, sans réelle progression ou changement à l’avenant. Ironie du sort ? Le scénario d’André Gulluni et Claude Lalonde, basant tout son postulat sur la malléabilité du temps, finit ainsi lui-même par tourner en rond, ne ménageant certes pas ses efforts pour se montrer un tant soit peu profond, mais privilégiant hélas l’esbroufe opaque au détriment du fond.
Comme un symbole à son corps défendant, un dialogue prononcé par un théoricien japonais venu aider David, restaurateur d’œuvres d’art asiatiques et personnage principal du film, à comprendre ses allers-retours entre présent et passé (réel ou fantasmé). « Qu’est-ce qui s’est passé ? » demande ce dernier le regard habité. « Rien », lui répond le professeur, convaincu et affecté. Plutôt que de susciter l’empathie, c’est bien un rire gêné que cet échange finit par provoquer, mal aidé il est vrai par un premier degré très appuyé, tolérant mal le manque de naturel et de crédibilité.
Une crédibilité à laquelle Origami n’était pourtant pas astreint, l’usage du fantastique autorisant par nature les partis-pris les plus audacieux. Mais en s’inscrivant pleinement dans une démarche de rationalisation permanente de l’irrationnel pour mieux embrasser les atours du thriller psychologique, le film de Patrick Demers écarte toute possibilité d’abandon, toute tentative d’éprouver la folie et les troubles de David, au profit d’une intellectualisation du cadre et du propos, comme si le fantastique ne pouvait être noble et pris au sérieux que par la raison. Un parti-pris qui se défend (Christopher Nolan en ayant par exemple fait le lit d’une partie de sa filmographie), à condition que les dissonances de ton et de jeu, ainsi que les incohérences narratives soient réduites à la portion congrue. Si le second point se montre globalement plutôt satisfaisant, le premier en revanche plombe l’ensemble de l’entreprise, tant la prestation des comédiens, premiers et seconds rôles inclus, ne se montre jamais à la hauteur des enjeux. À l’unisson d’un film désespérément froid et distant, aucun d’entre eux ne se montre capable de traduire et de partager un semblant d’émotion, apposant par là même une barrière artificielle entre la tragédie que sont censés vivre les personnages, et un auditoire condamné à se convaincre de la gravité de la situation sans pouvoir viscéralement l’éprouver.
On aurait pourtant attendu de François Arnaud, tête d’affiche d’Origami et l’un des acteurs québécois les plus en vue du moment, d’être à même de tirer le film vers le haut. Après tout, Origami, tant dans sa mise en scène que dans son récit, est entièrement taillé pour lui. Son jeu ne s’avère en conséquence, là encore, que plus décevant, unidimensionnel dans son appréhension du rôle, outrancier dans l’expression de ses sentiments. Le costume était peut-être encore trop grand.
Restent quelques recherches esthétiques notables (le travail sur la symétrie des cadres et des plans, la direction photo de Tobie Marier Robitaille jouant habilement avec la psyché de David), ainsi qu’une bande originale soignée (bien que pas toujours adéquatement intégrée) qui traduisent malgré tout le sérieux avec lequel Origami a été conçu et appréhendé. Un détail pouvant paraître anecdotique au regard de tous les éléments précédemment évoqués, mais une production au budget réduit ayant l’ambition de proposer autre chose qu’une plastique télévisée se fait suffisamment rare pour ne pas être saluée.
Insuffisant néanmoins pour faire sortir Origami du lot, moins La Jetée que Radius au cinéma, ou encore Heavy Rain (dont le logo du film s’inspire largement) en jeu vidéo. Une idée prometteuse sur le papier, malheureusement trop vite pliée.
https://hallucinedotnet.files.wordpress.com/2018/04/origami-22-going-back.wav