Une vieille mystification est en train de se dissoudre : en Palestine, il n'y aura pas d'Etat arabe indépendant, mitoyen de l'Etat israélien, dont on sait maintenant qu'il a gagné l'insidieuse guerre de colonisation menée en Cisjordanie (qu'il appelle «Judée» et «Samarie», en référence à la Bible) ainsi qu’à Jérusalem-Est.
Benyamin Netanyahou, à la tête de la coalition droite/extrême-droite gouvernant le pays, a finalement remporté son pari de rendre irréversible la construction du Grand-Israël, que les ultras réclamaient furieusement au détriment des populations arabes autochtones.
Retors, obstiné, il sera parvenu à traverser sans trop de difficulté l'ère Obama, qui lui était si peu favorable et que ses ultras abhorraient. Sa patience, sa duplicité surtout, auront payé : capable de faire le dos rond chaque fois que l'administration américaine prétendait tempérer les initiatives trop brutalement expansionnistes des ultras, il a su laisser se développer à bas bruit les implantations coloniales sur les territoires occupés, comme un cancer discret, donnant opportunément des gages de bonne volonté, tout en saisissant la moindre occasion de tricher.
Cette rouerie cynique aura su parfaitement tirer parti des faiblesses – ou de la complaisance lasse – de l’Amérique d’Obama. Quant à la nouvelle Amérique, celle de Trump, elle ne laisse guère envisager de freins à l’ambition des colonialistes israéliens, bien au contraire.
Le constat qu’on vient de faire ne tombe pas du ciel. Il s’appuie sur le revirement désenchanté d’un des intellectuels israéliens les plus impliqués dans la recherche d’un compromis de paix honorable et pérenne entre les parties, et qui, à ce titre, prônait jusqu’alors la création d’un Etat palestinien : l’écrivain Avraham Yehoshua.
Dans une interview donnée à L’Obs cette semaine, celui-ci reconnaît en effet, amer et fataliste, avoir fini par abandonner cette vision trop idéelle d’un « partage israélo-arabe » des territoires de l’ouest du Jourdain et de la Mer Morte devant le niveau actuel du développement et de la dissémination des implantations de colons juifs en Cisjordanie occupée.
Cette accumulation de micro-annexions, inlassablement organisée par les autorités israéliennes – ou avec leur appui discret, pour le moins leur bienveillance – dans le plus parfait mépris des conventions internationales, constitue un état de fait qui rend désormais irréaliste toute idée de retrouver les frontières de l'armistice de 1949, et encore moins d’appliquer la résolution 181 des Nations-Unies sur le partage de la Palestine. Comment, en effet, accorder son « indépendance » sous autorité arabe à un territoire truffé d’enclaves hébraïques, constituant un maillage qu’on n’imagine pas une seconde inféodé à cette souveraineté ? Quelle viabilité pour un tel Etat, disjoint de surcroît de son entité associée, le réduit de Gaza ?
Etonnamment passée sous silence par la cohorte des commentateurs, cette interview apparait pourtant comme les prémices d’un formidable aggiornamento du camp « pacifiste » : le double jeu des gouvernants, l’obstination brutale des ultra-nationalistes, aiguillonnés par leur frange la plus radicale, voire « racialiste » – référence, entre autres, à Avigdor Lieberman, le ministre actuel de la Défense chef du parti Israel Beitenou (« Israël notre maison ») – semblent bien avoir épuisé les espoirs des plus lucides. Le grignotage des territoires occupés est tel que seuls des naïfs avérés, ou des hypocrites, peuvent continuer à défendre la solution d’un Etat palestinien à ce point utopique, en voisinage paisible avec Israël.
On avait eu l’occasion dans ce blog de dénoncer l’irréalisme absolu de cette solution, et sa scandaleuse hypocrisie (« Des juifs qui ne s'aiment pas », « Barack Obama et la Palestine : premier recul ? »). Comment des bouts éclatés de territoire, enserrés par des Etats très diversement amicaux à leur endroit, auraient-ils pu constituer eux-mêmes un Etat viable digne de ce nom ? La seule solution aurait consisté à intégrer très tôt Gaza et la Cisjordanie respectivement à l'Egypte et à la Jordanie, sous un statut d'autonomie plus ou moins développé adapté à chacune des régions, Jérusalem restant placée sous mandat international.
Le mirage d'un « Etat palestinien », dentelle territoriale et administrative dont se paraient les diplomates, les a définitivement détournés de cette voie.
Il semble que les partisans israéliens de la paix, les yeux décillés par la redoutable efficacité du double jeu de leurs gouvernants – d’autant plus efficace qu’il a constamment bénéficié de la plus totale impunité de la part des instances internationales –, en conviennent à présent.
Finalement, l'option diplomatique de 1947 révèle crument qu’elle n’a jamais été qu’une virtualité qu’on a laissé tranquillement dépérir sous la stratégie brutale affectionnée par l’Etat juif, celle du fait accompli. La véritable marque, en somme, de sa genèse, depuis son entrée par effraction dans la Palestine sous mandat britannique, à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, jusqu'à l'actuelle séquence d'expansion et de spoliation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
Il ne reste qu'à trouver comment résoudre ce qui ne sera donc plus la question « palestinienne » mais la question « des colonies du Grand Israël ». On sait déjà qu'il existe au moins deux solutions possibles à ce genre de problème : l'expulsion collective, franche et massive, de l'encombrante population indigène, dont on confisquera plus aisément terres et biens ; et l'apartheid – ou sa version édulcorée, la « mise en réserves », à la façon nord-américaine.
Souhaitons aux ultras d'Israel Beitenou, et à tous ceux qui les soutiennent, là-bas, en Amérique ou en Europe –, l'inspiration adéquate pour imaginer quelle serait la meilleure des formules.