C’est juste avant l’ouverture du festival lyonnais Quais du polar que Daniel Cole est passé dans les locaux de Babelio, le temps d’une rencontre avec trente lecteurs venus échanger autour de Ragdoll, le premier roman de l’auteur qui paraissait en poche aux éditions Pocket, et de sa suite L’Appât, publiée aux éditions Robert Laffont.
Du scénario à la trilogie
Si on a l’habitude de voir les livres d’abord publiés avant d’être adaptés au cinéma ou en série télévisée, le parcours de Ragdoll va à contresens de ce chemin traditionnel : avant d’être un roman, l’histoire de Daniel Cole était un pilote de série destiné au petit écran. “C’est en regardant un épisode de 24 heures chrono qu’est née l’envie d’écrire des histoires pour la télévision. J’ai remarqué que même si les téléspectateurs avaient vu Jack Bauer mourir et revenir à la vie au moins dix fois, la série avait toujours autant de succès et les fans ne se lassaient pas. Avant, je n’écrivais pas du tout, mais c’est après avoir constaté cela que je me suis dit que je pourrais moi aussi écrire un scénario et que j’ai commencé à écrire en ayant la télévision en tête. Ça a duré six ans, et puis j’ai eu l’idée d’écrire Ragdoll.”
À l’époque, le scénario d’origine est encore très loin de l’histoire que les lecteurs ont pu découvrir : “Je ne m’étais jamais aventuré au-delà de l’écriture du pilote de la série Ragdoll, et quand j’ai réécrit le scénario pour en faire un roman, je ne pensais jamais que je serais publié ! Je n’avais pas non plus pensé à en faire une trilogie avant de signer un contrat pour trois livres.”
Seven en plus drôle
C’est naturellement du côté du cinéma et des séries télévisées que Daniel Cole est allé piocher l’inspiration : parmi ses influences, l’auteur britannique cite en effet la première saison de True detective avec Matthew McConaughey et Woody Harrelson, la série Following dans laquelle il a trouvé l’horreur qu’il voulait insuffler à son livre, et le film Seven de David Fincher. “La première édition anglaise de Ragdoll présentait d’ailleurs le livre comme un Seven en plus drôle”, précise l’auteur.
Daniel Cole s’est également inspiré du cinéma pour donner vie à ses personnages, et notamment à celui de William Oliver Layton-Fawkes (Wolf) : “Wolf est le premier personnage qui me soit apparu, dans son t-shirt de Bon Jovi. C’est d’ailleurs un amalgame de tous mes héros préférés : il tient un peu de l’aisance d’Indiana Jones avec sa machette, et de Martin Riggs de L’Arme fatale (Richard Donner) pour son côté suicidaire.”
Les personnages aux commandes
Daniel Cole s’est alors davantage exprimé sur les personnages mis en scène dans Ragdoll, confiant ainsi aux lecteurs son attrait pour les anti-héros, les personnages déséquilibrés et extrêmes : “j’aime les capturer à un moment de leur vie où ils sont sur le point de basculer.”
Ce sont alors les figures féminines de son roman, l’enquêtrice Emily Baxter et la journaliste Andrea, qui est aussi l’ex-femme de Wolf, qui ont retenu l’attention des lecteurs. Si le caractère de la première est inspiré de la soeur cadette de l’auteur, “elle est très drôle et spontanée, mais peut parfois agir comme quelqu’un de mal élevé ou sans filtre. Maintenant, j’ai même pris l’habitude de noter ce qu’elle dit pour rendre les répliques du personnage plus réelles !”, l’intérêt du personnage d’Andrea est avant tout de servir l’intrigue : “en Angleterre, les médias sont réputés comme étant sans pitié, mais Andrea n’a pas pour but de personnifier ni de critiquer le système journalistique. Elle n’est là que pour faire avancer l’histoire, pour exercer une pression sur Wolf, le pousser à bout le via les médias et l’opinion publique.”
Plus encore que des outils pour construire l’intrigue, les personnages sont, pour Daniel Cole, des guides qui pavent la route de son histoire : “C’est quelque chose que mes éditeurs trouvent déroutant, mais avant de commencer à écrire une histoire, je n’ai en tête que la fin et le début. Je sais où je vais, mais je ne sais pas comment : ce sont les personnages qui m’y emmènent comme des amis, et qui décident du rythme et de l’avancement de l’histoire. Si j’avais une structure figée, il se pourrait que je force les personnages à prendre des décisions qui ne soient pas naturelles pour eux.”
Vision d’horreur
Aujourd’hui auteur de polar avec deux thrillers à son actif et un troisième en cours d’écriture, Daniel Cole n’a pas toujours mis son imagination au profit de crimes sordides : il a d’abord été ambulancier, avant de devenir bénévole à l’équivalent britannique de la SPA, puis employé dans une association dédiée au sauvetage en mer. C’est pourquoi les lecteurs ont souhaité mettre en perspective son parcours philanthrope avec la cruauté présente dans ses romans : “En tant qu’ambulancier, j’ai parfois été confronté à des situations étranges et stressantes qui m’ont donné un rush d’adrénaline. J’ai eu affaire à des gens épouvantables en faisant ce métier, c’est peut-être de là que me vient ce goût pour l’horreur d’ailleurs. Enfin, je rejette aussi la faute sur les nombreux films d’horreur que j’ai vus lorsque j’étais adolescent !”
En parlant de son goût pour l’horreur, Daniel Cole a expliqué aux lecteurs son penchant pour les thrillers et les histoires pleines de cadavres : “Que j’aie en tête une comédie ou une histoire de science-fiction, il y a toujours un cadavre dans mes intrigues. Et dès qu’il y a un cadavre, c’est normal que la police soit impliquée. Je ne peux pas m’empêcher de revenir au thriller.” Tous les cadavres de Ragdoll étant reliés au même criminel, la figure du tueur en série s’est alors naturellement imposée à l’auteur : “ce sont les monstres de notre époque.” L’auteur a ensuite poursuivi en révélant que Ragdoll correspond en réalité au parfait exemple du livre qu’il aurait lui-même aimé découvrir : “Quand j’ai écrit Ragdoll, je ne pensais jamais être publié. J’ai trouvé cela amusant de décider de tout ce qui allait se passer et j’ai donc écrit, égoïstement, le livre que j’aurais aimé lire. J’y ai mis toute l’horreur et tout l’humour que je voulais.”
Une histoire d’équilibre
En plus de l’aspect monstrueux des cadavres et des crimes, Daniel Cole a également tenu à distiller un peu d’humour tout au long de son récit, non seulement pour contrebalancer l’horreur de l’histoire, mais également pour retenir l’attention de ses lecteurs et ne pas les perdre : “J’ai une capacité d’attention assez courte, dès que quelque chose cesse de m’intéresser, je m’en détache. Je pense que c’est grâce à l’humour et à l’humanité que Ragdoll est lisible : il y a un vrai équilibre entre l’horreur et l’humour, les relations humaines et les moments un peu plus mielleux. C’est une histoire d’équilibre.”
Si Ragdoll se présente ainsi comme un mélange d’horreur et d’humour, c’est également une association entre un contexte réel et l’imagination débordante de l’auteur : “Je n’aurais pas pu raconter l’histoire de Ragdoll si je m’étais cantonné aux limites de la réalité. J’ai bien-sûr profité de mes connaissances liées à mon expérience en tant qu’ambulancier, mais j’ai pris des libertés nécessaires pour pouvoir raconter l’histoire que j’avais en tête.”
De Ragdoll à L’Appât
De fil en aiguille, la discussion s’est alors orientée vers les nouveaux personnages introduits dans le deuxième tome : les lecteurs font en effet la connaissance des agents spéciaux Damien Rouche et Elliot Curtis. Le premier est intelligent, agréable et légèrement excentrique, tandis que la deuxième est très professionnelle et ambitieuse : “Ils viennent tous les deux d’un précédent scénario qui avait été refusé. J’ai décidé de réutiliser ces personnages, mais c’est en écrivant la scène de l’araignée dans la chambre d’hôtel, en les faisant interagir autour d’un détail si minuscule, que j’ai véritablement compris que j’avais de très bon personnages.”
Daniel Cole en a alors profité pour évoquer les défis rencontrés lors de l’écriture de ce second tome : “Baxter est athée alors que Rouche est très croyant. Ils ont tous les deux une vision très différente sur ce sujet. Je trouve le sujet de la religion fascinant, mais c’est un sujet délicat. Ce thème n’est pas là pour créer la polémique, il sert vraiment l’histoire, comme le thème de la santé mentale d’ailleurs. L’écriture de L’Appât m’a pris un peu plus de temps car, avec mon éditeur, nous voulions être prudents pour ne heurter personne.”
La figure du tueur en série, qui avait déjà largement été abordée dans Ragdoll, a en revanche été détournée dans le second volume : “les assassinats sont aussi des suicides, car le tueur est déjà mort quand on trouve le corps” précise Daniel Cole.
De Ragdoll à L’Appât, Daniel Cole a également changé son tandem d’enquêteurs et a déplacé son enquête outre-Atlantique, à New York : “J’ai écrit Ragdoll en pensant ne jamais être publié, et pourtant j’ai signé un contrat pour trois livres. La première question que je me suis posée après avoir signé ce contrat, c’est comment je pourrais faire pour me compliquer la vie au maximum ? C’est comme ça que j’ai pensé à lâcher mon personnages principal et faire un voyage à New York.” Il n’a pourtant pas souhaité faire table rase du passé : “Les trois livres ont été conçus comme une trilogie, ils sont tous liés. Après Ragdoll, je ne me voyais pas tout remettre à plat et repartir de zéro : au contraire, j’aime le fait qu’il y ait des conséquences, que les personnages ne soient plus les mêmes après cette affaire. Emily Baxter a par exemple dans L’Appât de gros problèmes de confiance.” Les lecteurs les plus attentifs trouveront ainsi des références à Ragdoll dans les dialogues et dans certaines scènes de L’Appât.
En attendant de retrouver Daniel Cole dans une troisième enquête plus intimiste et plus mystérieuse dans laquelle il a promis de ne pas inventer de drame qui provoquera la fin du monde, les lecteurs ont pu s’installer à sa table de dédicace pour échanger quelques mots supplémentaires avec lui. Merci à la traductrice pour l’interprétariat.
Retrouvez Ragdoll et L’Appât de Daniel Cole, aux éditions Robert Laffont et Pocket.