Cela tient du vertige : l’auteur opère par bonds successifs dans le temps et dans l’espace. On circule dans cette idéale pinacothèque au gré d’une rêverie toujours féconde, et selon les caprices impérieux du démon de l’analogie. C’est jouissif. Il s’agit avant tout d’un livre utile, car c’est un livre heureux. Cela provoque des surprises, et c’est ce que l’on préfère. Dethurens donnait déjà à voir, et combien, la peinture et la littérature, notamment dans son Écrire la peinture de Diderot à Quignard (Citadelle Mazenod, 2009, rééd. 2015). Il ne s’agit pas là d’un catalogue ou d’une anthologie littéraire. Le projet est bien différent, plus serré, plus approfondi. Réduit, en somme, à la fenêtre, laquelle ouvre l’espace à la lumière et rend possible le regard. « La fenêtre illimite le réel. » La fenêtre est aussi un seuil vers l’hors-cadre. Le visible est inséparable de l’invisible, le manifeste est un autre nom du caché comme chez le saint Augustin de Carpaccio, l’infini travaille dans le fini comme chez Hölderlin ou Leopardi. Bien sûr, infini oblige, la fenêtre attire aussi bien l’œil du mélancolique. « Fenêtres psychopompes de l’ennui et du rêve. » Il n’empêche. La question incontestablement la plus belle que formule Dethurens est celle de l’Ouvert. Cela donne le chapitre « Bonheurs de l’ouvert », avec sa méditation sur les fenêtres de Matisse.
Le chapitre le plus original est peut-être celui consacré à cette fenêtre particulière qu’est le vitrail. « Une triple exigence change la fenêtre en vitrail, et elle est à la fois métaphysique, didactique et narrative. » Dans cette exploration par la lumière, Dethurens élit Claudel pour guide. Ainsi, les vitraux de Chagall voisinent tout naturellement avec L’Œil écoute.
Ut fenestra poesis. La fenêtre comme multiplicateur du regard, mais aussi comme approfondissement de la vision, comme promesse, comme don du poème. « Oracle du vide », aussi quelquefois, comme chez Chirico.
« Tout ce qui est, écrit Dethurens, n’est pas ici, à portée de main, à portée de baiser, tout ce qui est, Dante l’a su mieux que personne, est au-delà. » Cette affirmation est bien sûr à mettre en regard avec le roman de Dethurens, Vita Nova (infolio, 2017) qui est une réécriture du petit livre de Dante. Avec cet Œil du monde, Dethurens tente une Vista nova. Partant, son livre s’ouvre. On pense à d’autres livres. Je songe à la Lucarne ovale de Pierre Reverdy, au commerce de ce dernier avec les peintres, Braque, Gris, Léger, Picasso. Et ainsi de suite.
Mathieu Jung
Pascal Dethurens, L’Œil du monde. Images de la fenêtre dans la littérature et la peinture occidentales, L’Atelier contemporain, 2018, 160 p., 25 €. Fiche du livre sur le site de l’éditeur.