Jérôme Zonder : à la recherche de Garance

Publié le 22 avril 2018 par Pantalaskas @chapeau_noir

« Des homos Sapiens »

Pourquoi privilégier un tableau en particulier dans l’exposition « Des homos Sapiens » que présente Jérôme Zonder à la galerie Nathalie Obadia à Paris ? Ce gros plan sur « Portrait de Garance #50 «  (2018) donne l’occasion d’approcher ce qui singularise la pratique de cet artiste quadragénaire qui se consacre exclusivement au dessin. Cette pièce est à l’image d’une œuvre dans laquelle la couleur se trouve bannie, le monde se lit en noir et blanc comme le personnage d’Arletty dans le film Les Enfants du paradis de Marcel Carné. Garance n’existe pas ou plutôt vit au travers des multiples croisements entre des souvenirs et des faits relevant de l’actualité et inspiré par la photographe, commissaire d’exposition et militante féministe Julia Javel, qui fut la figure de proue du mouvement des Femen en France.

« Portrait de Garance » #50 « 
Poudre de graphite, poudre de fusain sur papier 77X57 cm

Les dessins de Jérôme Zonder réalisés avec de la poudre de graphite et de la poudre de fusain entretiennent l’incertitude sur la notion de représentation, sur la nature de cette image produite avec les touches répétitives d’empreintes digitales, formant avec ce pointillisme d’un nouveau genre une trame inédite pour donner au portrait de Garance cette apparence fantomatique. La pratique de Jérôme Zonder pourrait aussi bien nous renvoyer à la surface sensible des premières photographies, aux tentatives hésitantes de ces pionniers de l’image tentant avec plus ou moins de succès de fixer un réel toujours fuyant. « Avec l’omniprésence, dit Zonder, de la circulation entre dedans/dehors, projection de la personne imaginaire et représentation physique de la personne. Et puis la démarche qui entreprend d’étaler la matière grise, ce que j’ai commencé à faire en recherchant une équivalence entre le texte et l’image »
La démarche de l’artiste renvoie à une enquête pour arriver à cette somme narrative des éléments constitutifs du personnage : des images d’archives personnelles de Julia – la jeune fille qui lui a servi de modèle –, des photos prises d’elle et que Zonder associe à des éléments extraits de l’histoire de l’art, d’archives historiques, et des media (quotidiens, magazines).
Nous avons tous, lorsque nous étions enfants, joué à ce jeu consistant à révéler avec un crayon à papier, le dessin d’une pièce de monnaie cachée sous la feuille blanche. Cette montée à la surface du papier d’une image semblait quelque peu magique. Elle n’était pas le fruit de notre geste de dessinateur mais davantage la révélation due au passage rapide de la mine de graphite sur cette surface perturbée par le relief de la pièce. Le toucher répétitif de l’empreinte digitale de Zonder sur le papier révèle lui aussi cette forme préexistante, non pas physiquement derrière la feuille, mais dans la construction mentale que l’artiste a fait naître au terme de cette enquête sur Garance.
L’image produite au terme de ce processus en corps à corps avec la surface du papier n’a donc pas vocation à de substituer à l’image photographique. Elle tend à générer, me semble-t-il, une nouvelle forme de pigmentation sans couleur  incluant les valeurs de gris de la photographie avec une trame nourrie par cette empreinte digitale. L’identité du personnage ainsi créé se compose, au fil du dessin, grâce à cette marque elle aussi identitaire de l’artiste. Celui-ci n’a pas retrouvé Garance, il l’a fait naître.

Jérôme Zonder
« Des homos sapiens »
6 avril – 27 mai 2018
Galerie Nathalie Obadia
3 rue du cloître Saint-Merri
75004 Paris