Le manifeste des 343 (salopes), pour le droit à l’avortement

Par Marine @Rmlhistoire

J’ai déjà écrit de nombreux articles sur l’avortement, faut dire qu’il y a des choses à dire qu’il s’agisse des méthodes douteuses de l’Antiquité ou des plus efficaces mais plus dangereuses du XXème siècle. Aujourd’hui je vous parle du combat qui a été mené par 343 femmes dans les années 1970, car jusqu’en 1975 l’avortement est interdit en France et il est sanctionné.

L’histoire de l’avortement

Durant l’antiquité, l’avortement n’est pas interdit par un texte de loi, mais on ne l’encourage pas… L’avortement prive l’homme de décider pour son enfant.Évidemment, il existe des moyens de contraception, mais la plupart d’entre eux sont complètement inefficaces, d’autant qu’on ne comprends rien à l’anatomie ni au cycle de la femme. Du coup, c’est pas super simple quoi… On ne connaît pas la fréquence des avortements, ni le nombre de femmes qui se font avorter, mais on connaît les différents moyens, et c’est déjà pas mal. Je vous laisse les découvrir dans cet article (il est bien, clique)…

Au Moyen Age, les choses sont beaucoup plus claires car l’Église interdit et sanctionne sévèrement l’avortement. Par sévèrement, j’entends la mise à mort des femmes enceintes ayant recours à une interruption volontaire de grossesse ainsi qu’à tous les individus l’ayant été. Au XVIIIème siècle, les philosophes des Lumières trouvent que tuer une femme qui ne souhaite pas sa grossesse est peut être un poil exagéré et les sanctions sont moins importantes. Ou si elles le sont, elles ne sont pas appliquées. On se dirige doucement mais sûrement vers une dépénalisation de l’avortement. Enfin, c’est ce qu’on croit car avec la Révolution, les choses changent. En 1791, le code pénal condamne l’avortement et en 1810, c’est pareil : « Quiconque provoque l’avortement d’une femme enceinte avec ou sans son consentement au moyens d’aliments, de drogues, de médicaments, par violence ou d’autres remèdes, est puni de prison ».

En 1852, l’avortement thérapeutique est admis par jurisprudence mais on trouve encore dans le code pénal que l’interruption volontaire de grossesse est « un crime contre l’ordre des familles et de la moralité publique ». Pour autant, les femmes, ou disons-le, les couples, sont nombreux à avoir recours à l’avortement. Avant la Première Guerre mondiale, on estime à 500 000 avortements clandestins par ans et plus de 300 femmes décèdent chaque année d’une complication. Faut dire que les faiseuses d’anges telles que les tricoteuses sont bien utiles, mais avec leurs longues et saillantes aiguilles à tricoter, elles sont dangereuses.

Quand vient la fin de la guerre, il est hors de question d’autoriser l’avortement alors qu’il faut repeupler la France. C’est vrai, avec tous les morts qu’il y a eu, il faut réprimer la provocation à l’avortement et la propagande anticonceptionnelle. C’est l’idée d’Odilon Lannelongue. Odilon c’est un homme, évidemment. La loi sanctionne les femmes à une peine de 6 à 24 mois de prison avec une amende de 100 à 5000 francs. Sous Vichy, on recule encore puisqu’à partir de 1942 ; l’avortement est déclaré comme un crime contre la sécurité de l’Etat. Rien que ça… La sanction est la mort.

Mais au début des années 1950 ; les choses changent, les femmes prennent la parole et différents mouvements se forment pour la liberté des femmes. Certains mouvements acceptent la pénalisation de l’avortement à condition que la contraception soit autorisée, c’est le cas du Mouvement français pour le planning familial par exemple. Au début des années 1970 ; deux mouvements s’affrontent, celui des pro-vie comme l’association Laissez-les-vivre face au manifeste des 343.

La polémique des 343 salopes

En 1971, le 05 avril, le journal le Nouvel Observateur publie un étrange document « le manifeste des 343 », dans ce texte 343 femmes publiques déclarent avoir enfreint l’article 317 du Code pénal de 1810 car elles ont eu recours à un avortement clandestin ou en ont pratiqué un. On trouve des artistes, des journalistes et de simples anonymes car le recours à l’avortement touche tout le monde. 

Si le manifeste fait grand bruit, quelques jours plus tard tout bascule avec la publication de Cabu dans Charlie Hebdo du 12 avril. Le dessinateur rebaptise les 343 signataires du manifeste, les 343 salopes avec sa punchline : « Qui a engrossé les 343 salopes du manifeste pour l’avortement ? » eh oui, parce qu’un gamin, ça ne se fait pas tout seul. Cabu dessine également Michel Debré qui a toujours eu des positions natalistes en train de marmonner « c’était pour la France ! »

Le sacrifice du mâle pour la nation ! Si la couverture a disparu de la mémoire collective, la dénomination est restée. Dommage qu’il soit nécessaire d’utiliser des insultes machistes pour qualifier des femmes libres et faire entendre leurs luttes…

Une autre affaire s’est faite entendre en 1971, elle a donné du poids au manifeste des 343 c’est l’affaire de Bobigny.

Le procès de Bobigny

En 1972, une jeune-fille mineure tombe enceinte suite à un viol dans son lycée. Si le gynéco ne refuse pas de pratiquer un avortement, il demande 4500 francs à la mère de la victime qui n’est pas en mesure de payer (c’est l’équivalent de 4 mois de boulot) alors pour aider au mieux sa fille, elle fait appel à une faiseuse d’ange sous les conseils de deux amies. Lorsque le violeur est interpellé, il balance l’avortement et les quatre femmes plus la victime sont mise en examen. L’avocate est Gisèle Halimi et elle fait de cette affaire un véritable procès politique dont l’issue est favorable car la jeune-fille est relaxée et les peines sont minimes et réduites à du sursis. Des médecins, des hommes politiques et même des catholiques se réjouissent de la tournure de l’affaire même si certains vont en payer le prix fort, c’est le cas du médecin Paul Milliez qui reçoit un blâme de l’ordre des médecins et qui se voit refuser d’accès à l’Académie de médecine. A coté, on retrouve de nombreuses femmes, dont plusieurs ayant signé le manifeste, c’est le cas de Simone de Beauvoir. Elle va également préfacer le livre qui retranscrit le procès car il s’agit là de faire le procès d’une loi et non celui d’un avortement. Suite à l’affaire Bobigny, le nombre de condamnation va diminuer, passant de plus de 500 en 1971, à 280 en 1972 et moins de 50 en 1973.

Finalement, la loi Simone Veil votée en 1975 dépénalise l’avortement, il est légal mais encadré.

http://www.ina.fr/video/I00017123/index-video.html

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