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Rupture, la
foi l’est d’abord par rapport à la preuve.
La preuve est contenue dans son objet, l’intelligence doit pénétrer l’objet pour
la découvrir et l’expliciter. La foi est extérieure à son objet, elle est un
faisceau de lumière dirigé sur lui.
De la foi en Dieu Pascal dit qu’elle «est différente de la preuve. L’une est
humaine, l’autre est un don de Dieu». De la foi en général, la foi
laïcisée, la même chose peut d’une certaine façon être dite : le Beau, le
vrai, l’Idéal, ne peuvent être déduits d’un Réel observé, analysé, décortiqué
et finalement réduit à une formule logique ou mathématique. Ce Beau, ce Vrai,
cet idéal proviennent d’ailleurs que de la sphère-Monde. Comme Dieu qui «pour
pouvoir paraître en ce monde […] s’en retire» et «pour y faire éprouver son
omniprésence […] est contraint de s’absenter», paradoxe que relève François
Jullien, le Beau le Vrai et l’Idéal sont forcément extérieurs au monde,
sans quoi ils n’auraient pas la force qui nous attire souvent irrésistiblement
à la Frontière de ce monde ; comme le Dieu reconnu par Lacan, pour
ex-ister ils sont contraints à s’ex-traire du Monde, juste là où nous avons
encore la capacité d’aller les chercher : cette capacité se nomme Transcendance, extérieure certes au
monde mais interne au sujet que, tel Don Quichotte, nous espérons devenir par
notre quête.
Comme l’amour humain, la foi est donc essentiellement connaissance et
reconnaissance de l’altérité. La rupture est l’affirmation d’un possible
différent du réel, déjà présent dans ce réel mais à révéler, ou situé hors du
réel et à inventer – inventer aux deux sens de créer et de découvrir un trésor.
Il y a donc
de l’immanence dans toute transcendance, divine comprise, car le sujet,
supérieur, aspire à dépasser l’individu, inférieur, que je suis au présent.
Cette transition de l’inférieur vers le supérieur implique ce que Gérard
Eschbach appelle «un espace de transcendance», une potentialité, espace à
investir, potentialité à activer – et «cet acte […] à la fois de décision et de création : décider du supérieur et le faire surgir », Roger Garaudy le nomme Acte de foi.
La foi n’est pas un état donné une fois pour toutes par une entité, dieu ou
autre, disposant d’une souveraineté sur l’Homme. La foi n’est pas uniquement le
fait d’une grâce, n’en déplaise à Saint Paul. Une telle causalité ferait
de l’Homme une marionnette aux mains de cette entité, la transcendance en
résultant serait aliénation et non libération. La foi n’est pas un être
extérieur et supérieur à l’Homme, elle est l’homme lui-même ayant découvert le
transcendant et construisant consciemment, volontairement, passionnément, son
rapport avec lui.
Dans «Le 21e siècle, suicide planétaire ou
résurrection ?», Garaudy écrit : «La croyance est une manière de
penser, la foi est une manière d’agir». Le «croyant» ne partage donc pas
nécessairement cet art de vivre qu’est la foi. Dans l’histoire, histoire des
religions mais pas seulement, les «croyants» et les «hommes de foi» se
sont souvent opposés, parfois avec une extrême violence.
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Alain Raynaud
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