Ce mois-ci avec Thinkerview, je vous recommande chaudement l’interview de la chaîne d’information portant sur la macro-économie, l’état du monde et celui de la France vus par Charles Gave, Olivier Delamarche et Pierre Sabatier.
Avec ces trois personnages, connus pour ne pas garder leur langue dans leur poche, Thinkerview nous livre ici une belle tranche d’analyse bien dense de plus de deux heures. À ce sujet et quoi qu’on puisse penser des intervenants qui sont interrogés par l’équipe de Thinkerview, force est de constater la grande qualité de ces entretiens réalisés sans coupe où les personnes interrogées ont le temps de développer leur pensée et leurs arguments. Dans un monde où le reste des médias fait plutôt la chasse à la petite phrase et au buzz facile d’une pensée raccourcie à sa plus simple (simpliste) expression, c’est un effort qui, en plus d’être louable, mérite amplement franc soutien (qu’on pourra concrétiser ici, par exemple).
Et pour le cas qui nous occupe aujourd’hui, les trois personnes en présence nous livrent un panorama de la situation économique française et mondiale en revenant notamment sur les notions de risque, de démographie, d’impact de cette dernière sur les retraites et sur la santé financière de l’État.
Sur le plan démographique qui occupe le premier quart d’heure d’entretien, Gave, Sabatier et Delamarche reviennent sur le phénomène de différentiel de population entre l’Afrique et l’Europe et ses conséquences actuelles, tant en terme de gestion des flux migratoires qu’en terme purement économiques : les seniors consommant moins, l’espoir d’avoir une croissance bâtie sur la consommation revient à parier sur l’augmentation de la consommation des classes plus âgées (pari risqué s’il en est). En outre et comme le remarque fort justement Gave, la croissance nécessitant en premier la mobilisation de l’épargne, disposer d’une classe de senior qui ont épargné et qui investissent pourrait constituer un vrai gisement de croissance… Qu’on n’observe pas, compte-tenu de l’ensemble des boulets qui sont attachés à l’investissement en Europe en général et en France en particulier. Si l’on y ajoute les efforts incessants des Etats à favoriser le déplacement des capitaux vers leurs propres obligations plutôt que dans les secteurs marchands, on comprend que l’avenir macroéconomique actuel n’apparaît pas franchement rose.
La demi-heure suivante est consacrée à la disparition du risque, facteur pourtant essentiel à une économie libre et un capitalisme fonctionnel, et ses conséquences, l’absence de croissance, la mauvaise allocation galopante des capitaux dans des marchés de moins en moins viables, au détriment de tous et du contribuable en premier, et la disparition progressive de la confiance notamment dans le système financier (avec le cauchemar de l’hyperinflation ou d’un effondrement systémique juste derrière). Tant que le risque semble maîtrisé, tant que les mauvais dossiers s’effondrent ou font faillite à un rythme peu soutenu, la confiance perdure. Dès que le rythme change, dès que le contrôle sur le risque semble avoir disparu, la panique peut débouler très vite.
Au passage, on notera l’analyse de Gave qui rejoint la mienne à savoir que le Yuan se positionne actuellement pour devenir une monnaie de référence, probablement en remplacement du dollar, quitte à l’adosser à l’or dans un avenir plus ou moins proche…
Vers 45:00, Sabatier note que le petit jeu de trompe-l’oeil avec les Banques Centrales peut continuer longtemps tant que les règles du jeu ne changent pas ; or, les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) pourraient bien modifier la donne substantiellement. Pour Sabatier, ces entreprises pourraient devenir si importantes, si cruciales à l’économie que leur rôle viendra peu ou prou sur les plate-bandes du domaine public qui n’entendra certainement pas se défaire de ses prérogatives.
Or, ce changement de règles et la réaction des Etats pourraient amplement constituer l’un de ces événements qui font sortir le marché de son comportement habituel, normalement rationnel et sans mémoire, pour le pousser dans un comportement irrationnel et basé sur sa mémoire (on achète parce qu’on achetait la veille, on vend parce qu’on a vendu hier), très rapidement incontrôlable.
Au passage, on notera une intéressante passe d’arme entre Sabatier, Delamarche et Gave (vers 54:00) pour savoir s’il y aura déflation, inflation ou hyperinflation.
La seconde heure de l’entretien est consacrée à la géopolitique.
Pour Gave, le débat se situe au niveau de l’Allemagne qui, en tant que vieille puissance continentale, pourrait très bien choisir de s’allier avec la Russie et la Chine, donnant ainsi du fil à retordre aux puissances maritimes, Etats-Unis en tête. Dans ce tableau, l’Europe changerait drastiquement de poids et d’orientation. Quant à la Chine, sa position prédominante n’en serait que renforcée. Pour Sabatier, l’économie chinoise reste encore bien fragile et la démographie chinoise imposera aux dirigeants de se trouver des solutions de long terme. Selon lui, le problème se pose aussi pour le Japon, que Gave estime pouvoir gérer sans souci, sa capacité à remplacer l’homme par des robots n’étant plus à prouver.
On notera un petit aparté sur Malthus et l’écologie vers 01:15:00 où Gave revient sur la reconversion des communistes une fois le Mur de Berlin tombé en écologistes bon teint, le but de gouvernement mondial n’ayant guère évolué dans l’opération.
Vers 01:25:00, Sabatier aborde la douloureuse question des territoires abandonnés de la République et de l’hyper-concentration / hyper-spécialisation des classes sociales, que Olivier Delamarche étend à tous les pays du monde en notant que de plus en plus souvent, les pays se spécialisent (Allemagne pour les produits industriels, USA pour la hitech, Chine comme usine du monde, etc.) avec l’évident problème qu’en cas de changement brutal des conditions du milieu, cette spécialisation ne permet pas d’adaptation assez souple à toute nouvelle donne émergente.
Il eut été délicat de ne pas aborder du tout la question syrienne dans cet entretien. On pourra voir les positions de Gave et Delamarche à partir de 01:35:00 sur la question syrienne. Pour Sabatier, il semble clair que l’agitation française en Syrie répond essentiellement à des problèmes internes franco-français qu’on ne veut pas traiter (et j’ai tendance à le rejoindre sur ce terrain).
Vers 01:45:00, le trio aborde la question de l’intelligence artificielle (IA) et de son impact sur le marché de l’emploi. Tout comme le malthusianisme ne recueillait guère les faveurs de nos économistes, la perspective de l’arrivée de l’IA ne semble pas les émouvoir (et je les rejoins là encore).
Plus de deux heures d’entretien, mais deux heures denses de points de vue iconoclastes.