Magazine Bien-être
Nous pouvons déjà faire certaines observations, dans cette direction. Pas « je regarde le bouquet de fleurs » – auquel cas je vois « mon » bouquet de fleurs, celui de mon mental – mais « le bouquet de fleurs est regardé », et momentanément nous entrevoyons ce que pourrait être, au moins en partie, le silence de l'ego. De même pour écouter. Dans une conversation qui ne vous implique pas trop, vous pouvez tenter cet effacement : non pas « j'écoute Simone » – moi je suis là et j'écoute attentivement Simone – mais « Simone est écoutée ». Il y a une écoute, il y a une possibilité de répondre, il y a une mémoire de ce qui aura été dit, mais ahamkar, « ce qui fait le moi », momentanément n'est plus présent. Vous verrez aussi combien c'est inhabituel.
Et si vous pouvez vivre cette expérience, ce changement d'attitude intérieure, relativement facile à effectuer ne fût-ce que pendant quelques instants, cela vous en dira déjà plus sur l'effacement de l'ego que bien des paroles de sages. Une bonne opportunité pour tenter ce renversement de perspective, c'est de vous rendre dans un grand café, à une heure d'affluence. Vous vous asseyez tranquillement à une table, personne ne fait attention à vous, et vous regardez autour de vous les clients aux autres tables, les gens qui entrent ou s'en vont, les serveurs, la caissière. Vous observez le mouvement, la vie alentour et, avec une certaine attention pour ne pas être complètement repris, identifiés, vous pouvez faire la différence : est-ce moi, avec tout ce qu'inclut ce pronom, qui regarde ou est-ce qu'il y a ce regard pur qu'on a depuis toujours comparé à un miroir (s'il ne s'agit pas d'une glace déformante, le miroir réfléchit parfaitement tout objet présent devant lui) ?
Vous allez pouvoir faire d'instructives constatations. Ça y est, de nouveau « je » ou « moi, ego », suis réapparu et ma vision est de nouveau colorée, je n'ai plus vu la dame qui entrait mais « ma » dame qui entrait, celle de mon mental. Ce mental, vous le savez, est constitué de toutes les marques du passé, de toutes les influences que nous avons reçues, qui se sont groupées autour de quelques prédispositions héréditaires. Autrement dit, s'il y a effacement au moins relatif du sens de l'ego, je commence à vivre dans le monde (le monde des apparences) tel qu'il est mais, tant que le sens de l'ego subsiste, je ne peux vivre que dans un monde irréel. Il faut que ces paroles entendues tant de fois deviennent pour vous une conviction vécue, confirmée car pour l'instant, sauf à de rares moments de grande vigilance, cet ego est omnipotent, omni-envahissant et bien plus terrible, désastreux et aveuglant que nous ne l'imaginons.
Vous voyez que j'emploie à dessein des mots emphatiques...
Arnaud Desjardins
La Voie et ses pièges