Pleure un peu, pleure ta tête, ta tête de vie
dans le feu des épées de vent dans tes cheveux
parmi les éclats sourds de béton sur tes parois
ta longue et bonne tête de la journée
ta tête de pluie enseignante
et pelures
et callosités
ta tête de mort
et ne pouvant plus me réfugier en Solitude
ni remuer la braise dans le bris du silence
ni ouvrir la paupière ainsi
qu’un départ d’oiseau dans la savane
que je meure ici au cœur de la cible
au cœur des hommes et des horaires
car il n’y a plus un seul endroit
de la chair de solitude qui ne soit meurtrie
même les mots que j’invente
ont leur petite aigrette de chair bleuie
souvenirs, souvenirs, maison lente
un cours d’eau me traverse
je sais, c’est la Nord de mon enfance
avec ses mains d’obscure tendresse
qui voletaient sur mes épaules
ses mains de latitudes de plénitude
et mes vingt ans et quelques dérivent
au gré des avenirs mortes, mes nuques
dans le vide
***
Gaston Miron (1928-1996) – L’homme rapaillé (1970)