Si vous avez vu le président Macron interrogé par Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel, sans doute vous êtes-vous frotté les yeux pour vous demander ce qui se produisait dans le paysage médiatique de grande écoute, plus prompt à passer les plats et à servir de faire-valoir à la toute-puissance du monarque républicain.
Pendant que certains tombaient des nues, Jupiter est un peu tombé du ciel… Il suffit de pas grand-chose, dans la vie d’une démocratie, pour changer de paradigme. Et s’apercevoir qu’une interview politique peut devenir, parfois, une vraie interview politique. Si vous avez vu le président Macron interrogé par Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel, sans doute vous êtes-vous frotté les yeux pour vous demander ce qui se produisait dans le paysage médiatique de grande écoute, plus prompt à passer les plats et à servir de faire-valoir à la toute-puissance du monarque républicain. On prêtera volontiers du crédit au chef de l’État d’avoir pris une sorte de risque en acceptant ce «format» atypique, soit un véritable entretien de presse, qui requérait autant d’écoute pour les réponses que… pour les questions. Ce devrait être la «norme», l’«ordinaire». Sauf que la stupéfaction est là.
Beaucoup de partisans du président – et même des journalistes – se sont agacés du ton jugé trop impertinent des deux journalistes, regrettant par exemple que le chef de l’État soit appelé par son prénom et son nom, ce qui ne serait «pas à la hauteur de la fonction présidentielle». Ne rêvez pas: il leur a également été reproché l’absence de cravate… Ce changement inédit dérange. Tant mieux. Il marque un tournant bienvenu en la matière: il y aura un avant et un après cette interview du palais de Chaillot, qui dessine avec une certaine précision les diverses figures d’accomplissements possibles. Nous sommes déjà curieux de voir comment les cravatés pourront, après cette séance, revenir poser leurs petites questions et servir la soupe.
Nous connaissons la formule: la forme, c’est du fond qui remonte à la surface. Le président des riches s’y est pas mal embourbé. Surtout quand le fond a ressurgi. À quatre reprises, il a d’ailleurs utilisé l’expression « ordre républicain », une formule qui n’a aucun contenu juridique précis, contrairement à «État de droit». Évoquer une politique «d’ordre», donc autoritaire, c’est l’habiller des faveurs de la République. «L’ordre est une tranquillité violente», disait Victor Hugo. Tout le monde a compris: l’ordre macronien, c’est le passage en force. Et passer en force, c’est toujours faire usage de la force…
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 17 avril 2018.]