Fabien SANCHEZ, extrait de « un train est passé »
Après une balade nocturne dans la garrigue – le vent mettait dans les arbres toutes sortes de rumeurs – nous nous rendîmes chez moi. Je tins absolument à montrer un film à François. Il était aux alentours de vingt-trois heures. La tentation de revoir ce film me prit soudainement. Nous tombâmes nez à nez avec mon père, qui lisait dans le canapé. Ma mère était couchée.
Salut les garçons, dit-il. Tout se passe comme vous voulez ?
Papa, j’aimerais montrer un film à François. Veux-tu le regarder avec nous ?
Pourquoi pas, dit mon père, qui reposa sur le canapé, son exemplaire du Monde diplomatique.
C’est de qui ce film ?
Claude Sautet, dis-je.
Eh bien, soit, dit mon père en serrant la main de François.
La peur que j’avais de mon père m’avait conseillé d’employer la douceur, et à ma grande surprise, son regard d’ordinaire inquisiteur qui avait tendance à arrêter mes mots sur mes lèvres, faisait place à une bienveillance peu coutumière. Je fus surpris par le vouvoiement qu’employa François à son égard, lors même que mon père le tutoyait d’un ton cordial. François prit place aux côtés de mon père, dans le canapé. Derechef, j’introduisis dans le magnétoscope la cassette vhs du film et m’assit dans le fauteuil auprès d’eux. Mon père demanda si l’on souhaitait boire quelque chose. François proposa du bout des lèvres un whisky ; il obtint gain de cause ; moi, je ne voulais rien.
Nous éteignîmes les lumières et regardâmes le film, plongés dans la pénombre, silencieux comme des pierres.
Une histoire simple. Il s’agissait d’une merveille, témoignant une fois de plus de l’immense et singulier cinéaste qu’était Claude Sautet. Romy Schneider prouvait ici qu’elle était la plus émouvante de nos comédiennes. Bruno Cremer et Claude Brasseur étaient très biens eux aussi. Beaux, denses, inspirés. Le montage était en soi une œuvre d’art, élégant et raffiné, la mise en scène était unique en son genre avec ses longues focales, sa narration lente et fluide. Le scénario de Dabadie était complexe et dilué, quotidien comme la vie. La musique de Philippe Sarde envoûtait et berçait. Toute une époque. J’avais six ans quand le film était sorti sur les écrans. Cette façon de faire du cinéma, n’était plus. Et moi je n’étais pas de mon temps. Je me sentais le contemporain de Claude Sautet et de Romy Schneider. Mon cœur battait sa bonne mesure dans le révolu.
La longue focale aussi était une affaire de morale.
©Editions La Dragonne 2018
Parution en Mai 2018
Fabien Sanchez est un écrivain romancier, nouvelliste, poète, né en 1972 à Montpellier, où il vit toujours.
Pour lui, écrire consiste à recoller les morceaux devant l’énigme de ce qui s’est cassé.
Il écrit pour arracher sa part d’ombre à ce que l’ombre a autrefois caché dans son indicible clarté.
Ecrire sur sa vie ne lui appartient pas ; c’est pour ça qu’il le fait.
Il fait sien l’axiome de Paul Auster :
Trop de détails et l’enlisement menaçait. Pas assez de détails et on risquait de ne plus rien voir.
Bibliographie
Bibliographie aux éditions La Dragonne
2006 – Chérie, nous allons gagner ce soir (nouvelles)
2009 – Ceux qui ne sont pas en mer (nouvelles)
2012 – J’ai glissé sur le monde avec effort (poèmes)
(Bourse aide à l’écriture CRL Midi Pyrénées)
2014 – Le sourire des évadés (roman)
(Sélection Goncourt premier roman 2015)
(Bourse découverte CNL 2010)
2018 – Un train est passé (roman)
Bibliographie aux éditions Les carnets du dessert de lune
2016 – Dans le spleen et la mémoire (poèmes)
Bibliographie aux éditions Al Manar
2017 – Jours de gloire (nouvelles)
Bibliographie aux éditions Tarmac
A paraître en 2019 – L’orage innocent (poèmes)
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Son blog : fabien sanchez