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Au CHU de la Guadeloupe, « on fait une médecine de catastrophe »

Publié le 12 avril 2018 par Halleyjc

Plus de quatre mois après l’incendie qui a détruit une partie de l’hôpital, la prise en charge des patients reste chaotique, et le personnel est à bout.

Des tentes ont été dressées à l’entrée des urgences pour garder les patients en observation jusqu’à 48 heures.

Des tentes ont été dressées à l’entrée des urgences pour garder les patients en observation jusqu’à 48 heures.

L’immense bâtisse à l’allure défraîchie se dresse vers le ciel au bout d’une allée plantée de palmiers. A l’entrée des urgences, deux grandes tentes ont été installées sur le parking. Une feuille collée sur la bâche indique les heures des visites.

Depuis l’incendie qui a ravagé une partie du CHU de la Guadeloupe, le 28 novembre 2017, et le départ de l’hôpital de campagne, fin janvier, c’est là que les patients sont gardés en observation. Ils peuvent y rester jusqu’à deux jours, à la vue des pompiers, des ambulanciers, du personnel soignant et des visiteurs qui s’y croisent en permanence.

Ce spectacle inhabituel ne rassure guère les Guadeloupéens. « Il y a des patients perfusés là-dedans, ça me fait flipper », confie Robert, venu accompagner sa sœur aux urgences. Cet ancien aide-soignant à Paris, de retour sur l’île depuis sa retraite, se dit éberlué par « le décalage du niveau de soins entre ici et la métropole ».

« Je n’arrive pas à croire qu’on est en France. On a l’impression d’être à Bagdad. On voulait absolument éviter de venir dans cet hôpital, mais on n’a pas eu le choix », lance sa voisine, dont le père attend depuis cinq heures sur un brancard. La comparaison est excessive, mais elle témoigne du malaise qui règne encore au CHU, plus de quatre mois après le sinistre.

Une situation « indigne »

Le feu, a priori d’origine humaine – une enquête est en cours –, a dévasté la maternité, les urgences, la réanimation et les blocs opératoires, restés tels quels, dans un amoncellement de matériaux noircis. L’hôpital ne tourne plus qu’à 60 % de ses capacités.

En attendant les travaux, une partie de l’offre de soins a été délocalisée dans d’autres locaux au sein de l’établissement et dans deux cliniques voisines, où le CHU loue des salles d’opération pour 100 000 euros chacune par mois – des négociations sont en cours avec les assurances pour qu’elles prennent le coût en charge.

« Au début, on était dans la survie. Ce qui est scandaleux, c’est que ce soit toujours le cas », affirme Mona Hedreville, cardiologue et porte-parole du collectif de défense du CHU. Elle dénonce une situation « indigne, qui aggrave la situation des patients ».

Les urgences, centre névralgique de l’hôpital, sont en première ligne. « On fait une médecine de catastropheIl manque encore beaucoup de matériel, le personnel est épuisé physiquement et nerveusement, et le nombre de lits disponibles a chuté. Ces conditions dégradées rendent notre travail encore plus complexe », explique Serge Ferracci, chef de service des urgences.

Au CHU de la Guadeloupe, « on fait une médecine de catastrophe »
Les tentes dressées à l’entrée des urgences pour les patients en attente d’une chambre après leur passage aux urgences au CHU de Pointe-à-Pitre, en mai 2017. 

« Tout se fait au jour le jour »

La prise en charge des patients s’en ressent. « La semaine dernière, une personne est arrivée avec une plaie de cinq centimètres provoquée par une tronçonneuse, raconte un brancardier posté devant les tentes. Elle ne sait toujours pas quand elle va être opérée parce qu’il n’y a pas de bloc disponible, alors qu’on ne doit jamais laisser une blessure ouverte aussi longtemps. Tout se fait au jour le jour. »

Un bloc opératoire a été mis en place au CHU pour les cas d’extrême urgence, mais pour la majorité des patients le parcours est pour le moins chaotique. Les listes d’attente s’allongent vertigineusement, quand les malades ne sont pas carrément transférés sur les îles voisines, faute de pouvoir être soignés sur place.

« Ils sont brinquebalés à droite et à gauche », déplore Mona Hedreville. Si les pompiers amènent un accidenté de la route, il passe d’abord aux urgences, réaménagées tant bien que mal dans l’ancien local des consultations. En cas de danger vital, il doit être monté au deuxième étage pour le déchocage, retardant d’autant la prise en charge. Il sera ensuite transféré dans une clinique, à plusieurs kilomètres, afin d’être opéré, avant de revenir au CHU pour la réanimation.

Les bébés subissent le même sort. « Il faut les transporter sur trois sites différents. C’est une déperdition d’énergie, avec des répercussions sur les soins », dit Jean-Marc Rosenthal, chef de service de médecine néonatale. La route défoncée menant à l’une des cliniques a été refaite en mars pour éviter les secousses lors du transport : un enfant s’était retrouvé extubé pendant le trajet à cause des nids-de-poule.

Une analyse commandée par l’agence régionale de santé (ARS) de Guadeloupe est en cours pour savoir si des décès sont imputables à la désorganisation de l’hôpital.

« Ceux qui restent se battront jusqu’au bout »

Le personnel soignant, déjà éprouvé par les cyclones Irma et Maria en septembre 2017, est à bout. Au moins six médecins ont démissionné depuis l’incendie, déstabilisant encore davantage les services, et des dizaines d’autres menacent chaque jour de le faire.

« Les rats et les moutons quittent le navire, peste Christophe Laplace, chef de service de chirurgie pédiatrique, entre deux consultations. Mais sachez que ceux qui restent se battront jusqu’au bout pour assurer au maximum la qualité des soins. » Il devra compter sans le soutien des médecins intérimaires susceptibles de venir de la métropole pour remplacer les absents : ils refusent de venir, craignant pour leur santé.

L’accès au service des urgences non opérationnel du CHU de Pointe-à-Pitre, au mois de mai 2017.
L’accès au service des urgences non opérationnel du CHU de Pointe-à-Pitre, au mois de mai 2017. 

Depuis que les locaux ont été réinvestis à partir de décembre 2017 – avant le nettoyage et la décontamination des zones touchées par l’incendie, malgré la mise en garde du préfet –, des salariés se sont effectivement plaints de malaises, de céphalées, de vertiges et de maux de gorge. Sur les 3 200 salariés que compte le CHU, jusqu’à 400 étaient en arrêt maladie en mars, et plus d’une centaine d’entre eux avaient exercé un droit de retrait – des chiffres redescendus respectivement à 185 et 77 début avril.

« Danger grave ! Que respirons-nous ? », interroge une affichette collée sur la porte d’entrée de l’hôpital. Les services dévastés par le feu et la suie ont été confinés avec les moyens du bord, sans parvenir à stopper les allées et venues, favorisant la propagation des odeurs et des particules. La climatisation a été coupée et les gaines d’aération bouchées pour limiter les dégâts, mais des moisissures, dues à l’intervention des pompiers, ont fait leur apparition et ont contaminé l’air à leur tour.

Au CHU de la Guadeloupe, « on fait une médecine de catastrophe »

Pierre Thépot Directeur du CHU

« On n’a pas mesuré à quel point ce serait compliqué de revenir dans le CHU, notamment en ce qui concerne l’impact de l’incendie sur la qualité de l’air. C’est une situation hors norme, on avance au coup par coup », concède Pierre Thépot, le directeur de l’établissement.

Le nettoyage et la décontamination suspendus

Une première analyse toxicologique avait conclu, en janvier, à l’absence de danger. Face aux inquiétudes croissantes, Valérie Denux, la toute nouvelle directrice de l’ARS de Guadeloupe, a demandé une deuxième expertise. « La conclusion est la même : il y a des particules fines de suie, des traces de chlore et des produits de combustion du PVC, mais pas de danger grave et imminent », assure la médecin militaire, arrivée mi-mars pour gérer la crise. « Pour autant, il n’est pas question de laisser ça pendant des années, il faut nettoyer », ajoute-t-elle aussitôt.

Au CHU de la Guadeloupe, « on fait une médecine de catastrophe »

Le service de maternité du CHU de Pointe-à-Pitre, en attente de travaux après l’incendie du 26 novembre 2017. 

Des analyses sont en cours pour connaître l’impact du feu sur le bâti, et pour voir si le nettoyage et la décontamination, suspendus, peuvent reprendre en site occupé avec un confinement strict. A l’hôpital, beaucoup regrettent le temps perdu et le manque de transparence jusqu’à la reprise en main de la situation par Valérie Denux.

« On ne nous entendait pas. S’il y avait eu une telle catastrophe en métropole, les autorités se seraient bougées plus vite, et n’auraient jamais accepté une baisse de qualité des soins. Mais on est loin », regrette Jean-Marc Rosenthal.

Au ministère de la santé, à Paris, on dit « comprendre les inquiétudes, légitimes », mais on récuse tout manque de transparence. « C’est une situation exceptionnelle, insiste-t-on. La première phase d’urgence et de sidération est passée. Celle de la reconstruction commence. »

Le CHU, déjà vétuste avant l’incendie, paye aussi le prix de plusieurs décennies d’entretien insuffisant. La crise n’a fait qu’aggraver la situation. Médecins et habitants vont malgré tout devoir s’armer de patience : les travaux ne seront pas terminés avant au moins un an. En attendant, un plan d’action a été lancé début avril pour réorganiser l’ensemble du système de soins sur l’île et éviter aux patients toute « perte de chance » de guérir ou de survivre. Son budget est en cours d’évaluation.


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