Suite et fin....On peut ainsi imaginer des conversations fructueuses entre les objets, les artistes, les anthropologues, les conservateurs. Ce sont des initiatives qui se sont développées depuis plusieurs années.
Le musée d’anthropologie et d’archéologie de Cambridge et le Pitt Rivers museum d’Oxford ont été notamment pionniers dans ces réflexions et leur mise en pratique.
Dans ce dernier, l’exposition qui s’est tenue en 2002-2003, Mrs Cook’s Kete, et réalisée par les artistes Christine Hellyar et Maureen Lander est un exemple de ce type de dialogue.
L’idée de l’exposition avait pour point de départ un panier maori, un kete, et on prétendait qu’il venait d’être récemment retrouvé dans le sud de Londres où avait vécu Elisabeth, la veuve de James Cook.
À partir de là, les artistes ont imaginé qu’Elisabeth avait voyagé avec son mari et ils se sont posé la question de savoir quels types d’objets elle aurait collectés ?
Une belle idée qui les a obligés à se documenter sur les objets ramenés, à inventer ce qu’aurait pu être un regard féminin, à créer une collection fictive mais avec des matériaux, des savoir-faire plausibles pour le dix-huitième siècle, à imaginer des objets qu’une femme aurait pu souhaiter acquérir… Elles pointent ainsi du doigt la vue parcellaire que nous avons sur les cultures passées au travers des collectes forcément lacunaires et biaisées. Seong Eun Kim écrit très justement sur cette exposition :
“In Maori symbolism, each kete is a vessel of knowledge transmitting different dimensions of the world. Presumably the artists picked out a kete as an important metaphor for the existence of another reality beyond what we see before us and alternative history beyond what museums represent… What their project put forward is that the ethnographic museum is not for end results but is up for constructing and deconstructing crosscultural histories so that they never cease to speak to the present” (1).
Ainsi le musée ethnographique se trouve-t-il investi de responsabilités différentes. Loin d’être le lieu d’un universalisme triomphant, il est plutôt celui du doute, donnant à voir les complexités et les contradictions que nous rencontrons dans la compréhension du monde.
Les réalisations des artistes contemporains permettent donc d’animer la mémoire historique et d’en montrer toute sa relativité.
Pasifika styles est une exposition qui s’est tenue au MAA Cambridge de mai 2006 à février 2008. Rosanna Raymond et Almiria Salmond en furent les commissaires, avec pour fil conducteur ce qui vient d’être dit : animer le museum, montrer la pertinence actuelle de ses collections.
Il n’est pas anodin que les deux musées évoqués soient lourds d’une imposante histoire de leurs collections (Cook, Forster, Pitt pour Oxford, Banks, Von Hüggel pour Cambridge… entre autres).
George Nuku est un artiste qui travaille le plexiglass qu’il nomme pounamu (nom maori de la néphrite) car ce matériau reflète de la même façon la lumière. Il a ainsi réalisé plusieurs œuvres pour cette exposition de Cambridge dont une patu, comme Joseph Banks l’avait fait plus de deux cents ans plus tôt. Lui, un artiste maori et écossais.
Il confiait à l’époque sur son travail : « La tradition, c’est le processus en marche consistant à être innovant… je cherche à fabriquer des choses que mes ancêtres n’ont jamais vues… je ne peux me contenter de photocopier ce qu’ils ont fait, je ne pense pas que c’est ce qu’ils voudraient ».
Dans la culture maorie, un taonga, c’est un trésor. Il peut être tangible tels ces artefacts que nous connaissons et dont nous n’avons cessé de parler, ou encore être une terre, une rivière… ou intangible comme un poème, une histoire, une croyance…
Les taonga, et particulièrement ceux des voyages de Cook, permettaient, grâce au contact physique que leurs propriétaires pouvaient entretenir avec eux, de se rapprocher des ancêtres qui les avaient fabriqués, les avaient portés avant eux ; ils héritaient par là même de leur connaissance, de leur expérience, de leurs qualités morales et physiques. De nombreux objets qui se trouvent maintenant dispersés dans les collections du monde entier ont pris valeurs de taonga.
J’aime à croire que si ces objets nous fascinent, ce n’est pas tant pour eux-mêmes mais parce qu’ils font ressurgir l’histoire au travers de nouvelles voix. Ces taonga ont ceci de précieux qu’ils permettent des rencontres et sont précisément des invitations à la prise de parole. Pour preuve et pour élargir le champ de nos objets de musée aux taonga qui peuplent la terre, le gouvernement de Nouvelle-Zélande a déclaré en mars 2017, le fleuve Whanganui, un « être vivant unique ».
Et si… c’était ce que le James Cook de Vincent Namatjira (2) était en train d’écrire sur sa Déclaration, et non pas comme il le laisse à penser, les lignes qui ont permis l’appropriation des terres aborigènes.
Notes :
1. in Kim Seong Eun, 2007, « Dans le symbolisme maori, chaque kete est un vaisseau de connaissances qui transporte différentes dimensions du monde. On peut supposer que les artistes ont choisi un kete comme une métaphore importante de l'existence d'une autre réalité au-delà de ce que nous voyons et de l'histoire alternative au-delà de ce que les musées représentent ... Ce que leur projet a mis en avant, c’est que le musée ethnographique n'est pas là pour nous donner des conclusions mais pour construire et déconstruire des histoires transculturelles afin qu'elles ne cessent jamais de parler au présent »
2. Cf. James Cook – with the Déclaration de Vincent Namatjira, © British Museum, 2007.1
Photo 1 : Mrs Cook's Kete - Thought Trays © Christine Hellyar, 2003, Auckland Art Gallery Toi o Tāmaki.
Photo 2 : Patoo Patoo Pasifika de George Nuku © MAA Cambridge, photo de l’auteure 2013.
Photo 3 : James Cook – with the Déclaration de Vincent Namatjira, © British Museum, 2007.1