(Tribune d’Helixis Felis, vulgarisatrice scientifique et auteur de la chaîne Macroscopie)
Les théories du complot et les fake news semblent envahir Internet et les esprits. Tous les esprits ? Non ! Un petit groupe, hérité d’une école philosophique, se dresse contre les envahisseurs complotistes : les sceptiques. Ces irréductibles penseurs cherchent à observer le monde sous le prisme de l’esprit critique. Mais s’il existe des mécanismes de pensée communs, il n’y a toutefois pas un seul et unique scepticisme : chacun l’agrémente à sa manière.
Le scepticisme prend ses origines dans l’école philosophique du même nom. Son but ? Apprendre à remettre en doute les affirmations que l’on entend ou lit au quotidien. Il n’est pas question d’uniquement croire sur parole mais de savoir se questionner, de passer au filtre de l’esprit critique toutes formes de croyances et d’affirmations. Gala Chevaillier, doctorante en physicochimie des matériaux et vulgarisatrice scientifique sur la chaîne Molécules, souligne cependant les problèmes inhérents à cette approche du monde : « Une des limites de ce courant de pensée est qu’il peut inviter à l’inaction et que les sceptiques deviennent des observateurs du monde sans en être des acteurs. »
Ce courant de pensée lutte en réalité activement contre les théories du complot, les fake news et les affirmations extraordinaires (ovnis, fantôme, voyance, etc.) notamment sur les réseaux sociaux, où ses adeptes sont très actifs. Thomas C. Durand, auteur plus connu sous son pseudo d’Acermendax, membre de La Tronche en Biais et co-directeur de l’ASTEC (association pour la science et la transmission de l’esprit critique) souligne cependant que « cela n’est pas et ne doit jamais devenir une confrérie élitiste qui utilise les armes de la rhétorique pour ridiculiser des positions déplaisantes. »
Une opinion basée sur l’esprit critique et non sur des croyances
Être sceptique – c’est ainsi que l’on désigne les membres de ce courant de pensée – demande donc de savoir prendre du recul et analyser ce qui nous entoure, ce que l’on nous dit, ce que l’on lit, afin de savoir se forger une opinion basée sur l’esprit critique et non sur des croyances. Mais ce n’est pas toujours simple. « J’ai toujours des croyances ! Et je ne crois pas qu’il soit possible d’en être exempt. Déjà j’ai cru au Père Noël enfant mais même aujourd’hui il y a des matins où je me dis sans la moindre preuve factuelle que la journée va être terrible, et ce n’est pas toujours le cas malgré le biais de confirmation ! » affirme Gala Chevaillier, rejointe sur ce point par Thomas C. Durand : « On ne peut pas dire que les sceptiques soient des humains sans croyance. Être sceptique, c’est s’interroger sur ses croyances, pas forcément les rejeter complètement. Si je peux me permettre de citer une formule de moi-même : le sceptique c’est celui qui suspend son jugement dans l’absolu, mais ce n’est pas celui qui suspend absolument son jugement. »
On ne naît pas sceptique, on le devient
Être sceptique demande donc de savoir porter un regard critique sur ce qui nous entoure mais aussi sur nous-même. On ne naît pas sceptique, on le devient. Un processus qui peut être plus ou moins long et qui reste personnel. Par exemple, parmi les sceptiques interrogés pour cet article certains, comme Gala Chevaillier qui est chrétienne, restent croyants là où d’autres, comme Christophe Michel, membre actif du laboratoire de zététique et animateur de la chaine Hygiène Mentale, ont abandonné la religion.
De même, certains sceptiques rejettent en bloc toutes pseudo-sciences et pseudo-médecines, alors que d’autres, comme l’auteure de cet article, elle-même membre du milieu sceptique, sont plus souples et continuent même à en utiliser au quotidien tout en sachant qu’il s’agit, par exemple, d’un simple effet placebo. Tout cela dépend de la personne et pour eux, l’important reste, finalement, d’avoir conscience de la réalité des choses.
Une forte implication personnelle
Au quotidien, être sceptique demande du temps et une forte implication personnelle, comme l’expliquent Thomas C. Durand et Gala Chevaillier. « Quand je vois des chiffres relayés, des affirmations scientifiques, j’ai tendance à vouloir en savoir plus et à vouloir vérifier d’où proviennent les informations. Et ce même si l’information va « dans le bon sens ». C’est-à-dire que même si on parle d’un phénomène vérifié comme par exemple l’augmentation de la résistance aux antibiotiques, il peut y avoir des chiffres ubuesques donnés qui ne s’appuient sur rien d’autre qu’une évaluation au doigt mouillé. Et quand je trouve ce genre d’erreurs, j’essaye d’en parler via les réseaux sociaux pour éviter que la désinformation ne se propage« , indique la doctorante. Il en va de même pour le membre de La Tronche en Biais, émission qui a reçu en 2016 le prix Diderot, prix qui récompense les projets et les acteurs engagés dans le partage de la culture scientifique : « Au quotidien, cela consiste à prendre en considération le contexte avant de juger une situation, et se rappeler que malgré cela une partie de ce contexte nous échappe, à admettre quand nos jugements ont été hâtifs et accepter de se corriger. Cela demande d’être pédagogue, de ne pas prendre ceux qui sont moins sceptiques pour des idiots, de ne pas se braquer face à un discours croyant, d’adopter chaque fois que possible une posture de questionnement (socratique) plutôt que le rôle du sachant… » Mais il souligne que le jeu en vaut la chandelle, surtout lorsqu’il reçoit des courriers de remerciements qui lui indiquant que ce travail a changé la vie de certaines personnes.
La zététique, initiée par Henri Broch et Gérard Majax
En France ce courant est surtout connu comme étant celui de la zététique, une discipline initiée par Henri Broch, directeur du laboratoire de zététique à l’Université de Nice, et Gérard Majax (prestidigitateur célèbre en France). Il est cependant important d’apporter une certaine nuance. Le milieu sceptique tente d’appliquer l’esprit critique à de nombreux sujets. La zététique, elle, essaye de mettre en place des protocoles suivant la démarche scientifique. Poser des hypothèses, designer une expérience avec des témoins pour vérifier ces hypothèses, tirer des conclusions de ces expériences afin de tester des phénomènes paranormaux ou l’efficacité de certaines médecines considérées comme pseudo-sciences.
Aujourd’hui, cette discipline évolue et cela entraîne ce qui pourrait être vu comme un point de discorde au sein de la communauté. Certains, comme Gala Chevaillier et Christophe Michel, estiment que la zététique n’est pas apte à tout étudier, d’autres comme Thomas C. Durand pensent au contraire qu’elle doit évoluer en ce sens.
« La méthode scientifique a ses limites ! »
« La méthode scientifique a ses limites ! indique Christophe Michel. Cette méthode ne peut pas étudier les phénomènes surnaturels ou spirituels. Ce serait donc une erreur de vouloir utiliser la méthode scientifique pour en savoir plus sur l’existence de Dieu, des anges ou sur le fait que le Christ soit venu sur terre pour être notre Sauveur. Mais par exemple on peut essayer de mesurer l’efficacité de la prière. » Il est rejoint sur ce point par Gala Chevaillier. Sur les questions de religions et de politiques, elle estime qu’il existe trop de biais et de croyances personnelles pour pouvoir affirmer de façon catégorique certaines choses ou en réfuter d’autres.
Pour Thomas C. Durand, l’exercice de la critique rationnelle et du débat d’idées peut être appliqué à n’importe quel sujet mais nuance cependant son propos : « Évidemment, certains sont plus délicats que d’autres, et tout ce qui touche à la politique ou la religion mobilise des affects et facteurs sociaux qui nous empêchent bien souvent d’écouter l’autre sans lui imputer des intentions (hostiles) qu’il n’a pas, mais qu’il est stratégiquement utile de lui attribuer si le but est de le discréditer… ce qui ne devrait jamais être le but. » Il souligne aussi qu’il y a un temps pour tout et que ce genre de discussions n’a pas sa place dans certains contextes, comme le deuil ou la maladie.