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Une ardente patience, d’Antonio Skarmeta

Par Ellettres @Ellettres

Une ardente patience, d’Antonio Skarmeta

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En VO : Ardiente Paciencia/El cartero de Neruda d’Antonio Skarmeta, Debolsillo, 2014 (1ère éd. 1985), 140 p.

En VF : Une ardente patience d’Antonio Skarmeta, traduit par François Maspero, Points Seuil, 2016 (1ère éd. 1987), 160 p.

Décor : San Antonio, un petit port de pêche perdu sur l’immense côte Pacifique du Chili.

Personnages : un jeune facteur naïf et idéaliste, une ravissante serveuse et son dragon de mère, un postier socialiste, et Pablo Neruda.

Contexte : de 1969 à 1973, dans l’effervescence pop-rock-ouvriériste que connaît le Chili ces années-là.

Mario Jimenez est un jeune bon à rien qui finit par trouver le job en or : distribuer le courrier à un seul client, mais quel client ! Rien moins que Pablo Neruda, que Gabriel Garcia Marquez qualifiait de « plus grand poète du XXe siècle, toute langue confondue« . A son humble niveau, la vie de Mario va être chamboulée par ces contacts quotidiens avec le poète bourru mais débonnaire. Une amitié se noue entre eux. Sous la houlette du poète, le jeune facteur s’initie à l’art des métaphores, puis s’enhardit à faire la cour à la belle Beatriz Gonzalez, qui sert les clients au café de sa mère. Neruda sera même, un peu malgré lui, l’entremetteur des deux tourtereaux et leur témoin de mariage. Le prix Nobel de Neruda, obtenu en 1971, est célébré en grande pompe au café des Gonzalez et donne lieu à des réjouissances presque orgiaques. Quand Neruda est envoyé à Paris en tant qu’ambassadeur, il demande à son jeune ami de lui enregistrer le bruit de la mer et des mouettes de sa maison d’Isla Negra. La campagne présidentielle de Salvador Allende, proéminent leader socialiste, est ardemment soutenue par Pablo Neruda, un temps pressenti comme candidat lui-même, et donc par Mario et ses amis travailleurs. Mais le joli conte de fées aux allures de comédie à l’italienne prend fin avec le coup d’Etat et la chute d’Allende en 1973.

– Pourquoi ouvrez-vous cette lettre en premier ?
– Parce qu’elle vient de Suède.
– Et qu’est-ce que la Suède a de spécial, à part les Suédoises ?
Bien que Pablo Neruda possédât une paire de paupières imperturbables, il cligna des yeux.
– Le Prix Nobel de Littérature, gamin.

(Traduction de ma pomme)

Au risque de filer la métaphore bijoutière (cf. post précédent), ce mince roman est une pépite d’humour tendre, de situations drolatiques, et de dialogues hilarants. J’ai ri du début à la fin – enfin, presque. L’amitié entre Mario et Neruda est particulièrement touchante, dépassant la simple relation de maître à élève : Mario voue un respect sans borne au poète, qui en retour semble beaucoup apprécier la fraîcheur du jeune homme, lui transmettant l’amour de la poésie et s’attachant à ses heurs et malheurs. Mais il y a aussi toute une galerie de personnages secondaires, bien typés, qui forment comme le chœur chantant de cette histoire. On assiste à la montée des revendications ouvrières, à la domination des Beatles et autres groupes de musique anglo-saxons sur l’imaginaire de la jeunesse, à la fièvre idéaliste de l’arrivée d’Allende au pouvoir mais aussi à la raréfaction des vivres dues à la mise en place d’une économie socialiste. Tout semble possible, même l’amitié d’un jeune facteur inconnu et du plus grand poète du XXe siècle. Mais la comédie à l’italienne prend des teintes néoréalistes, au moment où les élans révolutionnaires se fracassent sur le mur de la réaction…

– Ce que j’ai à vous dire est trop grave pour que je parle assise.
– De quoi s’agit-il Madame ?
– Depuis quelques mois ce Mario Jiménez rôde autour de mon café. Ce monsieur s’est permis des insolences à l’égard de ma fille d’à peine seize ans.
– Que lui a-t-il dit ?
La veuve cracha entre ses dents :
– Des métaphores.
Le poète avala sa salive :
– Et ?
– Eh bien avec des métaphores, Don Pablo, il rend ma fille plus chaude qu’une termite !

Cette histoire est totalement inventée mis à part les faits historiques, mais le Neruda de Skarmeta emporte la conviction (le dernier ayant eu des contacts avec le premier dans une situation plutôt cocasse racontée en prologue). Le titre lui-même est extrait d’Une saison en enfer de Rimbaud que Pablo Neruda prononça dans son discours de réception du Nobel, exprimant toute l’attente eschatologique de lendemains qui chantent :

Et à l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.

Se plonger dans l’ambiance primesautière du roman est un rayon de soleil dans notre monde plutôt désenchanté, même si à la fin, l’auteur montre bien la naïveté des principaux protagonistes, Neruda compris.

Je vous laisse avec la chanson qu’offre Neruda à Mario en lui affirmant que c’est l’hymne mondial des facteurs. 😂

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Edit : je comprends mieux pourquoi ce roman me faisait l’effet d’un film italien : il a d’abord été mis en scène dans un film de 1983 dirigé par Skarmeta lui-même avant d’être publié, puis adapté dans un contexte italien par Michael Radford en 1994 sous le titre Il Postino.

Coup de coeur pour ce roman que j’inscris au Challenge latino dans la catégorie Chili.

Merci Lili de me l’avoir offert !

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