De plus en plus, j’ai l’impression qu’une aventure entrepreneuriale peut se comparer à une relation amoureuse.
Les premiers mois, les deux premières années, ont été intenses, incroyablement exaltantes, comme lorsque dans une passion amoureuse, tout vous parait extraordinaire. Et c’était extraordinaire.
Et puis le temps passe et les premières fissures apparaissent. De la même manière que dans un couple, on se rend compte au bout d’un moment des imperfections de l’autre et des compromis qu’il faut faire, j’ai commencé à me poser des questions : j’adorais ce que je faisais, mais est-ce que cela valait les semaines de 70 heures, les sacrifices financiers et personnels, tout ce que j’ai imposé à mes proches ? Sans compter plusieurs erreurs que j’ai faites, et les aléas de l’entreprise, peut-être tous deux inévitables, mais qui m’ont causé des mois d’anxiété et d’inquiétude.
Mon oncle me demande régulièrement : « quand est-ce que tu nous fais un bébé ? » Et je réponds toujours en blaguant : « Pas tout de suite tonton, faut que j’emmène des cartons à la Poste ». Mais derrière la blague, je me suis souvent demandé : « mais justement, encore combien de cartons ?! »
Il y a une difficulté à l’accepter, déjà personnelle parce que je ne pouvais pas admettre que ce pour quoi j’avais tant donné tant de moi-même et qui m’avait rendu si heureuse pouvait aussi me causer de la souffrance (ça ne vous rappelle pas le couple, ça ?). J’étais (et je suis toujours) si bien entourée, entre mon équipe, mes proches et vous bien entendu, qui avaient été d’un tel soutien et d’une généreuse prévenance pour beaucoup : j’avais l’impression de littéralement trahir tout le monde en ayant envie de baisser les bras. Et bien entendu, je ne cessais de me dire que tant de personnes souffraient au travail, avec des problèmes largement plus graves que les miens : comme pouvais-je me plaindre et ne pas me dépatouiller de mes soucis, alors que le maître à bord, ça restait moi ?
J’ai longtemps hésité à le raconter sur ce blog, j’ai réécrit plusieurs fois cet article en me demandant si j’avais trouvé la bonne manière de raconter tout ça. Je me demande encore si je fais bien, comme je crains tout simplement que ça soit mal perçu, qu’on puisse penser que ce n’est pas ma place de raconter tout ça.
Mais la bienveillance que vous m’avez témoignée depuis les débuts et le fait que je sente que je suis à un moment de basculement qui est important, m’a donné envie de le raconter. Quelque part, j’avais envie de partager ça avec vous qui m’accompagnez depuis tant d’années. Je m’étais dit au début de la boîte que j’essaierais de raconter au maximum les coulisses de l’entreprise : les hauts, mais aussi les bas. J’ai beaucoup partagé les hauts avec vous, alors c’est peut-être le moment de partager aussi les bas avec vous, en toute transparence.
Après les mois de passion extatique, puis les mois de lutte, j’ai atteint un point de rupture après la période de Noël où j’ai pris conscience que ce ne serait pas avec ce rouleau compresseur que je m’imposais et la pression que je me mettais sur les épaules que j’y arriverai. J’ai compris que j’étais sur le point de perdre de vue ma vocation première, et si je voulais garder la grâce du projet, je devais faire quelque chose.
Alors j’ai commencé à me réajuster.
J’ai commencé par arrêter de travailler le soir et les week-ends, pour souffler et retrouver un peu la beauté de ces journées à ne rien faire. J’ai essayé aussi plusieurs petites choses que je détaille plus bas.
J’ai arrêté aussi de culpabiliser et j’ai simplement accepté que oui, comme d’autres personnes je pouvais avoir des relations parfois conflictuelles avec mon travail, même si c’était mon projet, et que c’était bêtement humain et normal.
Et puis, je me suis posée pour juste repenser à cette chose toute simple qui fait que je me suis lancée un jour dans cette aventure : l’envie de partager des histoires. Pour me rappeler que derrière les deadlines, derrière les chiffres, derrière les lignes de code, derrière tout le travail, il y avait cette finalité que je continue à trouver miraculeuse même 5 ans après : la possibilité qu’une personne, qu’elle soit jeune ou âgée, un femme ou un homme, une grande lectrice ou non, d’un milieu social ou d’un autre, puisse lire une belle histoire et se retrouver inspirée par sa lecture. Et j’adresse mes remerciements les plus profonds à tous ceux qui nous envoient un petit mail quand ils ont aimé leur livre : comme un sourire ou un regard, dans les moments les plus compliqués comme dans les moments de quiétude, ces messages me rappellent pourquoi je suis là, derrière mon écran.
J’ai repensé aussi à toutes les sources de joie qui sont nées au fur et à mesure que le projet s’est développé. Nos échanges et la présence de certaines personnes bien entendu, les relations que j’ai avec certains de nos partenaires, mais aussi les petites choses du quotidien : les potins échangés avec les filles, la tasse de café de mi-journée, voir le jour se lever à la fenêtre de mon bureau à la maison, les moments bénis où je sais que je tiens un livre pour un prochain abonnement.
C’est un peu comme ce moment dans un couple où vous savez que vous avez passé un cap, que la tempête est derrière vous, et que vous pouvez aller de l’avant pour quelque chose de différent, mieux certainement. Que vous apprenez à cultiver votre relation, en appréciant le quotidien, des choses petites et grandes, tout en essayant de vous rappeler de l’essentiel.
J’ai depuis repris le travail le soir et le week-end, mais sans pression. J’ai mes objectifs pour cette 5e année, mais en me disant simplement que je ferai mon maximum.
Et je continue à espérer que je pourrai encore longtemps vivre ce moment d’étincelle quand on lit un de vos messages heureux sur l’un des livres que vous avez reçus.
Quelques lectures qui m’ont aidée à me recentrer
- Choisir de ralentir de Nelly Pons
- Et deux articles qui m’ont rappelée que la vie est courte et que ça ne servait à rien de se martyriser ;-) Life is short, un article de Paul Graham, et The tail end de Tim urban
Le petit focus coulisses : petites résolutions que j’ai prises depuis janvier pour aborder plus sereinement mon travail
J’espère que ce petit partage sera peut-être utile aux autres passionnés qui ont du mal à lâcher prise ;-)
- M’astreindre à travailler entre 7h-19h et ne plus travailler que deux soirs par semaine. Je me suis rendue compte que j’étais plus efficace en me contraignant à des horaires précis, et je dors évidemment mieux :) Le week-end, j’essaie de ne travailler que sur des choses réellement plaisantes ou reposantes (croyez-le ou pas, mais rentrer les factures repose mon cerveau. Véridique!).
- Au maximum, pas d’ordinateur le soir, et ça aide aussi beaucoup à se vider la tête.
- Faire une activité manuelle plus régulièrement où seules les mains travaillent (et comme mon activité manuelle favorite, c’est cuisiner, ça fait aussi plaisir au bedon ;-) )
- Me réserver un sas de décompression entre le bureau et la maison : marcher, prendre un café, faire autre chose, voir une expo… Je tire cette idée de Choisir de Ralentir que j’ai pour le moment encore un peu du mal à appliquer, mais que j’aime beaucoup en soi.
- Lire des livres hors Exploratology (des essais, des livres en VO, etc.) Et ça, ça compte énormément! J’ai une pensée pour tous les abonnés qui m’ont dit qu’ils en avaient un peu marre de leurs lectures pour le boulot ou les études, même s’ils adoraient ça à la base (hello les étudiants en littérature, en sociologie et les chercheurs!) et qu’on était pour eux une soupape de décompression littéraire… Eh bien, j’aurais du aussi faire plus tôt comme vous! :D Je me rends compte aussi que ça m’aide à me recentrer après sur mes lectures Explo, donc c’est tout bénéf finalement :)
La suite lundi prochain : les gens sont ce qu’il y a de plus important.