Ce 6 avril 2018, Jacques Higelin rend son dernier souffle, à l'âge de 77 ans. Un grand trouvère au cœur géant vient de quitter ce monde où il avait enraciné sa vie en guirlandes de rêves…
Né le 18 octobre en Seine-et-Marne, le jeune Jacques Higelin découvre les terreurs d’un conflit mondial bien avant d’être bercé par la grâce de la musique et l’ivresse de la poésie. Heureusement, son enfance a pour écrin un foyer de gens modestes mais aimants. Entouré par son père, un cheminot d’origine alsacienne et sa mère, d’origine belge, Jacques grandit dans un milieu chaleureux avec son frère, Paul. Son père, pianiste amateur, lui fait découvrir la musique. Le petit garçon se met au chant. Il écoute sur un vieux gramophone des 33 tours de Jazz (Duke Ellington, Armstrong) et de Charles Trenet, le fou chantant, qui demeurera jusqu’à son dernier souffle son maître spirituel.
Après la guerre, Jacques commence à se produire dans des radio-crochets et pendant les entractes au cinéma, à l’époque où les salles obscures se laissaient envoûter par des parenthèses musicales.
Rattrapé par sa fièvre artistique, l’adolescent arrête l’école à 14 ans pour se consacrer à sa passion. Il commence par s’exercer au curieux métier decascadeur puis se fait engager pour la comédie musicale Nouvelle Orléans avec le musicien américain Sidney Bechet, clarinettiste hors pair. Parallèlement, il se forme à l’art dramatique aux cours René Simon. A la fin des années 50, il obtient quelques petits rôles au cinéma. Sa première apparition se situe en 1959 dans le film « Le bonheur est pour demain » de Fabiani. Il y rencontre Irène Lhomme. Leur correspondance, ou plutôt celle d'Higelin (Frimousse) à destination d'Irène (Pipouche), sera publiée en 1987 sous le titre Lettres d'amour d'un soldat de vingt ans. En 1961, il s’éloigne de la scène pour effectuer son service militaire et part notamment plusieurs mois en Algérie, où il anime les bals des officiers.
A son retour, comme pour rattraper le temps perdu, le boulimique Higelin multiplie les projets ; au cinéma (Les saintes chéries de Jean Becker), au théâtre (La vérité suspecte), et au café-théâtre (avec Georges Moustaki au Trois Baudets). En 1966, il co-écrit avec Brigitte Fontaine et Rufus la pièce Maman j’ai peur jouée au studio des Champs-Elysées. Il aime les rencontres et les provoque aussi. Il chante avec Areski et Brigitte Fontaine. C’est surtout avec cette dernière qu’il va resplendir. Le duo artistique se produit sur les scènes parisiennes et publie un album (12 chansons d’avant le déluge). Ils inventent un style fantasque qui séduit le public. Jacques Higelin se consacre dès lors à la chanson et après une période hippie, il s'oriente vers le rock dans les années 1970.
En 1971, Jacques Higelin publie son premier album solo; Jacques Crabouif Higelin, dont il signe tous les textes. En décembre 1974, il amorce un virage musical avec l’album BBH 75 aux sonorités beaucoup plus rock. Il est accompagné, en autres, par un certain Louis Bertignac, futur guitariste du groupe Téléphone Artiste prolifique, il va publier huit albums en dix ans (Irradié, No man’s land, La bande du Rex, Higelin 82 et le fameux Champagne pour tout le monde (1979) avec le titre phare « Champagne », bariolé de fantasmagories :
Satyres joufflus, boucs émissaires
Gargouilles émues, fières gorgones
Laissez ma couronne aux sorcières
Et mes chimères à la licorne
Higelin participe au premier Printemps de Bourges, en 1977, en compagnie de Charles Trenet, auquel il consacrera un spectacle en 2004-2005 : Higelin enchante Trenet, avec lequel il tourne un an, achève au Trianon en mars 2005, et dont un DVD témoigne, encore inédit à ce jour.
En 1988, l’album Tombé du ciel remporte un énorme succès suivi d’une longue tournée. En 1991, l’Album Illicite se fait surtout remarquer par son titre « Ce qui est dit doit être fait », merveilleuse chanson où l’artiste évoque la joie d’être papa. Sa petit Izia est née le 24 septembre 1990, bien après le premier fils, Arthur H (1966) et le second, Ken (1972).
Durant la décennie suivante, il fréquente moins les studios et espace la sortie de ses albums. Tel un troubadour flamboyant il part sur les routes pour de longues tournées (Aux héros de la voltige en 1994 et Paradis païen en 1998). Ces derniers rencontrent moins de succès que les précédents et le chanteur va faire une pause musicale pendant plusieurs années.
Cette traversée du désert est juste entrecoupée d’apparitions sur le noir de la pellicule. On le voit à l’affiche de plusieurs films : Revoir Julie, de Jeanne Crépeau, en1998 ou encore A mort la mort, en 1999, de Romain Goupil.
Après huit ans d’absence dans les bacs il sort l’album Amor Doloroso, en 2006.
Ses inspirations y sont multiples mais émanent pour une grande partie des voyages qu'il a entrepris : Zaïre, Sénégal, Andalousie... Au fil du temps, le bonhomme révèle son romantisme à fleur de peau. Le succès est au rendez-vous, l’artiste publie plusieurs autres albums; l’année de son 70ème anniversaire, il enregistre l’album Coup de foudre (2010), puis Beau repaire (2013) qui nous gratifie d’une jolie Balade au bord de la rivière :
Les naïades et les ondines
Aux yeux d'opale, aux longues chevelures
Riant aux éclats, elles m'attirent
Sous les cascades vers l'au-delà de l'onde
Pure
Et je plonge
Emerveillé par ces belles
Créatures
Déesses de l'eau et du
Ciel
Son dernier album studio sera Higelin 75 (2016).
En 2015, le chanteur publie son autobiographie, Je vis pas ma vie, je la rêve.
Tout est dit dans ce titre. Le chantre troubadour, amoureux de la musique et des vers aura fait de sa vie une aquarelle vivante de lyrisme, de facéties, de passion charnelle avec son public, d’incroyables moments de folies créatrices, de bouillonnement d’inspirations chatoyantes sous une chevelure dense et rebelle.
Un grand artiste vient de nous quitter.
Mais comme son modèle, Charles Trenet, il restera.
Longtemps, longtemps, longtemps Après que les poètes ont disparu Leurs chansons courent encore dans les rues…
Tu nous laisses tout un art exquis Et en nos abris-gîtes fontaine De tes vers nous redonne vie Toi qui l'as quittée ; pas de veine !
Pars et ne te retourne pas Lançait ta muse souveraine Toujours plus loin vers l’au-delà D’un éden aux vies musiciennes
Humaniste aux mille refrains Pétri de générosité Mais pour qu’ils suivent ton chemin Il faut alerter les bébés !
Adieu bel ami troubadour Champagne au sein du paradis Le piano troublant de l'amour Vibre aux échos de ta folie...