saynètes

Publié le 07 avril 2018 par Modotcom


je n'ai pas quitté facebook
à cause d'un petit scandale d'utilisation
de données personnelles
vous savez ce que j'en pense
de la vie privée du monde et de la mienne en particulier
à l'ère où l'on veut tout prendre
sans rien donner
c'est la plus grande illusion
qui berne étonamment même les plus cultivés d'entre nous
je ne peux pas comprendre
comment on puisse encore penser pouvoir posséder
quelque chose en propre
quelle bêtise
quelle égoïsme
et quel manque de réalisme
j'ai quitté facebook
parce que je n'avais plus le temps d'y naviguer
j'adore facebook
et j'ai été pendant dix ans
une facebookienne exemplaire
si avec dix likes
cambridge analytica pouvait connaître ma vie
avec toutes mes publications mes partages
mes commentaires et mes appréciations
la planète entière
connaît déjà la couleur de mes bobettes
et le nombre de stérilets
qui m'ont jadis habitée
je n'ai pas sevré et je m'en porte très bien
mais cette semaine je réalisais
comment ma pensée avait changé
alors que je fréquentais facebook
chaque geste que je posais dans ma journée
résonnait dans ma tête comme une phrase
une phrase que je mijotais
et qui allait atterrir dans les
cinq dix quinze vingt vingt-cinq minutes suivantes
sur mon profil facebook
souvent précédée d'un mot-clic
j'y déposais les moments de ma vie
comme on crée des colliers de perles
je vivais littéralement mes jours
comme une mise en scène
une vie découpée en dix mille saynètes
chaque moment illuminé et poli
et dont la beauté était magnifiée
et par la bande
ça donnaît un goût meilleur à tout ce que je faisais
depuis quelques jours
je ne vis plus ma vie en forme de phrases
je la vis en forme de vie
sans beaucoup de mots
et plutôt pleine de chiffres
et cela me fait une bonne vacance pour l'esprit
c'est plus fluide
plus naturel
et avec autant de goût
je reviendrai à l'écriture quand le temps
se présentera sera là assis avec moi
sur le banc de la création
rien ne me manque
à part le temps
les amis sont toujours là
à un message près de me parler de me voir
de me faire rire
les photos s'empilent dans le vide sidéral
comme mon cahier de bord visuel
c'est ce qu'oscar disait hier
un journal photographique
qui soutient ma mémoire déficiente
ma mémoire paresseuse
depuis que tout est si accessible et facile
alors je suis encore dans le cyberespace
à vivre et partager avec des gens en chair et en os
et avec une vie aussi privée
que celle du ver de terre qui se fera bientôt écraser
lorsque nos trottoirs montréalais
se mettront à pleuvoir
avant de longs siècles d'univers
où toute cette vie si banale
n'aura plus aucune importance.
ps : en parlant de partage
le brooklyn sketchbook project dans la photo
est une perle.