Mpata Nse est une jeune romancière congolaise basée en Belgique. L'énigme du zèbre est son premier roman, publié aux éditions Diasporas noires. Elle y explore les nouvelles identités d'européens d'ascendance africaine dans toute la complexité de ce sujet...
Quand commence ce roman, Christelle Akeza est une étudiante en médecine. C'est la narratrice principale. Elle a grandi quelque part dans une province française et dans sa famille, on a une certaine idée de la réussite. Une réussite à tout prix. Une réussite qui part du principe qu’il faut se défaire des postures victimaires et d’une médiocrité supposée qu’on retrouverait chez certains immigrés. Les formes de rejet et de racisme qu’elle a connues dans son adolescence ne peuvent dans ce contexte être exorcisées que dans les prises de parole multiples qu'elle va s'employer à mettre en scène. D’abord celles de jeunes lycéennes. Puis celles d’étudiantes afropéennes en médecine. Enfin celles d'activistes, forumiers afrocentristes.
Ces questions très intimes, souvent tues, se développent en même temps que Christelle affronte avec maestria sa première année de médecine et s’ouvre à des profils d’étudiants très différents. Un soir, elle surprend une discussion entre son père et sa mère. Une discussion taquine pleine de provocations du père qui demande en substance pour les africains n’ont pas dompté le zèbre ? Etonnante question. Le conflit entre les parents s’exprime dans les réponses diamétralement opposées de l’intellectuel désabusé qui y voit une paresse consubstantielle du noir et tandis que la mère hystérique ne peut s'empêcher de souligner l’indocilité naturelle et connue du zèbre. Christelle est perturbée par le sujet. Démarre alors une quête de l'Afrique et de ses défis qu'elle choisit de faire sur le web et ses réseaux sociaux où des militants afrocentristes refont le monde derrière leurs claviers respectifs.Zébrure, hybridité, afropéanité, kémitisme
Quand on parle d’afropéanité à Mpata Nsé, elle rejette très clairement le concept en affirmant qu’elle avant tout congolaise. Certes, parlons alors des personnages de son roman. Quand l'écrivaine congolaise décrit cette websphère, je me retrouve parfaitement. Les ethnos qui s’y expriment, je les ai rencontrées. Et leur description est juste parfaite. Les débats virulents ressemblent à ceux qui se déroulaient sur Grioo.com à une certaine époque. De vastes masturbations intellectuelles disait on à l'époque. Le web était pour ces internautes un exutoire pourreconstruire une Afrique idyllique, pharaonique, expurgée des douloureuses expériences de la traite arabe, la traite Atlantique ou de la colonisation. En ces lieux, des profils différents de combattants, allant des européens d’origine africaine en quête de repères différents des canons imposés par les médias occidentaux aux étudiants africains découvrant ces nouveaux outils de communication et de création d’une parole panafricaine. Aucune contrainte d'être confrontée à la réalité du terrain. L’étudiante en médecine s’implique dans ces débats, tente de s’extraire de ces discussions virtuelles et finit par réunir autour d’elle des jedi du web. Des hommes et des femmes noirs en quête. Des hybrides un peu comme le zèbre. Entre le cheval et l'âne, le noir et le blanc, sauvage et querelleur...Expédition au Wakanda, euh, je voulais dire au Nigéria
C’est Christelle qui annonceet convainc la bande de montée une expédition pour le Nigéria, première puissance économique et démographique d’Afrique subsaharienne. Pourquoi le Nigéria plus que le Ghana ou le RD Congo, vous aurez certains éléments de réponses dans l’émission à laquelle elle a bien voulu participer sur Sud Plateau TV. Ce qui est intéressant, c’est que la troupe va se rendre au pays de Fela et des mariages hors normes avec la diversité de points de vue de tous ces hybrides. Ce qui est passionnant dans ce texte, c’est avant tout la tonalité de ce roman. La rage de Christelle, une forme de folie, atténuons les mots, cette obsession à comprendre qui elle est, d’où elle vient et la colère profonde à ne pas accéder à ce continent autrement par les images misérabilistes des médias, la terreur spirituelle qui ne favorise pas la découverte des pays des parents qui souvent sont des exilés pour des raisons qui ne sont pas uniquement politiques et économiques. C'est encore ne pas percevoir le continent africain comme une forme de pénitencier à ciel ouvert pour afropéens belliqueux.
Les observations du zèbre
Le regard de ces jeunes nègres d’Europe et des Caraïbes est donc chargé de naïveté et de clichés. Préjugés qui pourront exaspérer certains lecteurs. J’aime le fait que Mpata Nsé se soit essayé à un tel exercice avec une certaine maîtrise. Car le texte est bien écrit et surtout très documenté. Que ce soit l'exploration des sentiments d'une post-adolescente, la description du pédigree de ses personnages hybrides, ou encore le voyage au Nigéria, Mpata Nse sait de quoi elle parle, elle sait par exemple déplacé au pays d'Obasanjo pendant plusieurs semaines dans le cadre de ce projet d'écriture.On pourra reprocher à l’auteure congolaise un dogmatisme prononcé qui parfois biaise le regard de ses personnages. En particulier sur tout ce qui touche aux spiritualités endogènes qu’elle oppose frontalement aux religions monothéistes. A tort, à raison, peu importe, sur ce point le discours peut parfois paraître militant. Le débat contradictoire qui oppose les membres de ce groupe d’afropéens aux profils très divers des personnages nuance toutefois cela. Une forme de naïveté s’exprime aussi dans l’étiquette de l’africain « bio » qui est savoureuse, drôle mais qui ne résiste pas à l’analyse quand certains chefs de village qui prennent la relève ont fait leur classe dans les grandes écoles occidentales. On peut regretter que l’auteur se disperse quelque peu sur la fin de son ouvrage en abordant d’autres thèmes alors que cette expédition est riche en enseignements et impacts sur ces jeunes gens.
Je vous présente ce mystère qui m’est si cher, mes doigts ont déposé sur papier le meilleur des vies d’hybrides. Je crois que certains peuvent s’y retrouver, pas tous les enfants d’immigrés d’Afrique Noire… Mais certains.Les plus zébrés d’entre nous.
Mpata NSE, L'énigme du zèbre
Editions Diasporas Noires, 323 pages, première parution en 2016