Mpata Nse est une romancière basée en Belgique. Pendant le week-end de Pâques, elle a eu sous la main le roman La fin de Mame Baby. Elle a accepté que je puisse publier sur le blog sa remarquable critique, son ressenti livré avec puissance sur les réseaux sociaux. Accrochez-vous et découvrez ensuite le roman de Gaël Octavia.
Je préviens tout de suite. Je ne suis pas critique littéraire.
Je suis une lectrice assoiffée de mots et de rimes, je suis une gorge ayant besoin qu'on étouffe son cri.Je suis un poumon sous l'eau qui cherche à inspirer.Je vous préviens tout de suite, je vais écrire sans me relire.Parler d'un livre dévoré ne peut se faire qu'en parlant de ce qui m'a entamé au plus profond de ma chair. Ma chair!
Au centre de tout problème, il y a un manqueEn me rendant à Paris, pour l'interview que m'a accordé le critique littéraire blogueur LaRéus Gangoueus, je suis arrivée dans une ruelle typique du quartier des Marais. Sur un trottoir j'ai aperçu mon confident littéraire à la veste colorée se tenant en face d'une très belle dame.
Je ne savais pas qui elle était. Je n'avais jamais vu son visage. J'ai supposé qu'elle sortait aussi de l'interview.
Est arrivé mon moment de parler de textes et d'épisodes de mon livre, parfois adoré par des inconnus, parfois décevant pour d'autres. J'ai fait ce que j'ai pu. Et avant de partir, on m'a tendu un livre à la sobre couverture, vêtu d'une bande rouge, celle des livres ayant reçus des prix de très sérieux concours. Les vrais écrivains sont habillés de cette bande rouge.
Ce livre était celui de la très belle dame qui partait d'un sens opposé au mien, celle à qui j'ai tourné le dos.Je suis revenue d'un congé apaisant, le coeur lourd.J'ai ouvert ce livre dans l'espace contigu d'un bus. Je me suis retrouvée en voyage pendant le voyage.
J'ai cru dès les premières pages du livre, dès les premiers dialogues, me trouver en Martinique.Ce quartier décrit dans le livre, nous ne savons pas où il se situe, s'il existe, s'il s'agit d'une banlieue, d'une ville de France? Mais pour moi, le Quartier est en Martinique, bien que tout y soit laid, et que certaines scènes se déroulent dans le froid.
Les expressions de Mariette sur le noir comme "hier soir" de la narratrice m'ont convaincues que nous étions sur une île. Une île plus psychique que géographique.Un endroit où on entasse des gens et les abreuve de médiocrité , surtout les femmes... surtout les femmes...La violence des jeunes garçons, l'obsession des filles qui ne portent qu'un nom pour les définir, m'ont convaincues que nous étions sur une île.
Et j'ai senti la chaleur durant tout le trajet, j'avais presque les mains moites.Les pages ont défilé sans que je ne saute aucun mot, aucun paragraphe.Moi qui préfère lire les textes de Ken Follet et laisser la littérature afro loin de mes yeux.Je me suis demandée pour quelles raisons j'évite cette littérature Noire ?
Parce que je ne voulais pas être en colère, je ne voulais pas devoir lire des mots rabaissant notre communauté, ou en faisant une caricature immonde dans le but de plaire à un lectorat venant hors du quartier.Je ne voulais pas lire uniquement la médiocrité des frères, et la débilité de nos sociétés.Excusez moi d'écrire sans me soucier de la pensée autorisée.
Ici... Je n'ai jamais été irritée, ici...J'ai reconnu nos mères et nos pères.La complexité de nos familles.Ici, j'ai entendu le cri sans fin d'une fille pour sa mère.
Je ne savais plus m'arrêter de lire.Je suis trop vieille pour être une jeune fille , mais je suis trop jeune pour être Mariette.
Et pourtant Mariette... Et pourtant Mariette.Mariette et son verre de vin rouge.Oui, son verre de vin rouge et cette inertie dans ce rocking chair.Ce monde teinté de paix liquéfiée qui tapisse les profondeurs de nos marécages... Oui ce vin rouge comme le sang qui ne nous habite plus.Elle déteste les catholiques, supporte un peu les évangéliques.Mariette, la terrible seule héroïne de ce livre... Tellement plus passionnante que cette Mame , affreuse Mame.Agaçante Mame!Irritante comme cette voix qui nous susurre dès le début d'une relation jonchée d'humiliation, qu'il est temps de se barrer... De prendre nos jambes à nos cous et de fuir.Notre conscience. Au delà de toutes prisons religieuses, notre dignité, notre estime de soi, notre phare. Ce que Sophie finira par apprendre chaotique-ment ...comme je l'ai moi-même appris...
Mais Mame... on ne l'écoute pas toujours, pas souvent... L'angoisse de mort est plus pressante encore. Sous couvert de malédictions et de pressions religieuses et familiales... La panique de ne pas être une femme bénie.On ne l'écoute pas souvent cette voix et...Et les conséquences nous dépassent.
Je me souviens lorsque je courrais dans cette campagne, à la poursuite d'une libellule. J'adorais les libellules.Je les adorai plus que tout car elles étaient tout sauf l'inertie, elles étaient tout sauf l'immobilité.Elles étaient transparentes aux reflets verts et bleus, et droites dans le ciel, elles virevoltaient autour de moi.Au centre de tout problème, il y a un manque.Avant d'être mère, ne sommes nous pas filles?De minuscules petites filles fragiles qui essaient de réveiller leurs mères, de leurs dire qu'elles existent aussi.Qu'elles ne sont pas le prolongement de leur faute, de leur médiocrité, de leur complexe.Que sans phallus, nous existons quand même.Des fillettes qui tentent de les faire sourire, leur arracher cette lourdeur si triste, qui les éloigne de nous.Et les semaines remplacent les mois qui se transforment en années et parfois en décennies.
Mais nos mères ne sont elles pas, elles même d'anciennes filles?Qui a mis à terre la première?
J'ai cru jusqu'au deuxième tiers du livre que le quartier était la Martinique, puis j'ai fini par comprendre qu'il était chaud et terrifié, blessé et meurtri comme un utérus.L'utérus d'une femme plus assez jeune, mais pas assez vieille pour être comme Mariette.La lourdeur utérine de ce texte transcende chaque page.Et j'ai saigné comme un premier jour.Et j'ai saigné de ce sang... rouge comme ce vin.
De minuscules petites filles fragiles qui essaient de réveiller leurs mère, de leurs dire qu'elles existent aussi.Qu'elles ne sont pas le prolongement de leur faute, de leur médiocrité, de leur complexe.
C'est peut être chaque ruelle de ce quartier qui habitent le bas de mon ventre. C'est peut-être Mame qui m'a souvent empêché de perpétuer la lourdeur utérine.C'est surement Mariette et son impossibilité à vivre sans un homme qui m'ont poussé à accepter des inepties.C'est peut-être l'irritante Mame qui m'a obligée à exister pour autre chose, à chercher une source de joie intarissable.C'est peut être elle, la poursuite des libellules.C'est sûrement Mariette qui m'a tendu mon premier verre de vin , signant mon entrée dans le plus grand combat de ma vie contre la pulsion.
C'est sûrement, la femme et la fille du pasteur qui m'ont convaincue qu'il aurait fallu que je naisse homme pour espérer une vie heureuse.Je suis maudite si je ne deviens pas mère. Mon enfant sera maudit si je ne lui trouve pas un bon père. La lourdeur utérine.
Je déteste lire les histoires de femmes. Je les hais du plus profond de mon âme.Mais celle ci... Celle ci... est une histoire de mère. D'ancienne fille, de future mère. Elle apaise les coeurs meurtris, elle réconcilie avec nos entrailles.Qu'est ce que tu combles chaque jour?
Au centre de tout problème, il y a un manque.
Alors lorsque j'ai terminé ce livre , entamée de toute part, j'ai cessé de courir après la libellule, j'ai cessé de m'agiter pour rien, de m'éloigner vers des contrées lointaines.Nos mères sont ces anciennes petites filles.Les petites filles que nous sommes, sont les futures mères.
Et dans nos ventres, des libellules.Que Dieu nous restaure.Mpata Nsequi n'avait jamais lu.Gael OctaviaLa fin de Mame BabyEditions Gallimard