"- J'ai besoin de toi, tu vas me laver les cheveux, je n'y arrive pas toute seule...Pablo respire un grand coup. Il avance, passe la porte, pousse un lambeau de tulle, puis un autre. Ce sont des costumes de danseuse, du temps où la vieille femme était une star et pas la Goule. Punaisés au plafond par leurs bretelles, ils dessinent un labyrinthe de fantômes. La poitrine serrée, Pablo le traverse. Pour se protéger des mauvaises choses, il ne doit pas marcher sur les joints du carrelage. Un pied sur un carreau blanc, un pied sur un carreau noir. Au fond de la pièce, il devine la femme dans son baquet, elle fredonne. Un dernier voile blanc, Pablo baisse les yeux. Elle est là, nue devant lui. Elle frotte ses bras avec une grosse éponge jaune. Sa peau laiteuse absorbe la lumière autour d'elle, comme le halo d'une étoile très loin dans le ciel. Ses seins très blancs, petits et ronds, bougent sur sa poitrine. [...] - Ah, tu es gêné, dit la vieille femme en se retournant vers le mur, tu n'as pas l'habitude. Excuse-moi."
J'aurais pu vous décrire ce roman jeunesse, vous parlez de Pablo, colombien venu se réfugier en France avec sa famille, vous mettre sur la voie en parlant d'être transparent, de ne pas faire de vague, de n'être plus là-bas mais pas d'ici, d'être le vaurien d'un autre.J'aurais pu vous parler des émotions, de l'amitié.Mais les larmes aux yeux je les ai eu dans cette rencontre, entre cette vieille femme, la Goule, et Pablo. De leurs silences, de leur pudeur, de ce quart de folie, de la bonne humeur, de cette retenue, du moment où ce n'est pas le moment. "Dans son corps de vieille femme, la Goule a plus de vie que bien des gens que Pablo croise dans les rues."Et puis de marche, encore et encore, plus loin, vers les sommets où l'oxygène se raréfie, où juste plus loin vers le ciel d'où les autres partent. De vélo qui roule aussi, loin, encore, pour laisser ce qui ne peut se comprendre là sur le bas-côté. Du médicament contre la maladie des mots.Oui, à chaque fois, même dans le plus court texte ou dans un récit de moins de 100 pages comme ici, Cécile ROUMIGUIERE distille des pépites.(extrait de "Pablo de la Courneuve", Seuil jeunesse; *"La complainte de la Butte", paroles de Jean Renoir)