Le sourire de l'ange

Par Chatperlipopette


sous-genre de la SF. Ce terme vient du grec "U", non, et "chronos", temps...le non-temps, le temps qui n'existe pas. L'uchronie apparaît, inventée par Charles Renouvier en 1857 qui la présente comme une "Histoire apocryphe" . On part d'un fait historique et on extrapole ce qui aurait pu se passer si....tel ou tel évènement avait eu ou non lieu, avec tel ou tel dénouement et donc conséquence pour la suite.


"Les conjurés de Florence" de McAuley se range dans cette catégorie. Nous sommes à Florence, au début du XVIè siècle. Florence est une cité puissante, vainqueur de Rome à l'issue d'une guerre où les machines extraordinaires du Grand Ingénieur ont fait merveille. Dans ce Florence-là, Léonard de Vinci a préféré les études mathématiques et mécaniques à la peinture, le sourire de Mona Lisa existe mais pas sur la toile. Les artificiers sont les rois du monde tandis que les peintres peinent à trouver une place au soleil de la gloire.
Raphaël et Michel-Ange se livrent une bataille idéologique sans merci, s'accusant mutuellement de se piller l'un et l'autre. Machiavel n'a pas écrit et est un journaliste compétent et incisif, à la Gazette de Florence.
L'Italie de la Renaissance connaît déjà sa Révolution industrielle: les manufactures tournent à plein régime, les banquiers achètent des années à l'avance les stocks de laine aux Anglais, les évolutions technologiques ne se comptent plus et Copernic n'a pas péri sous la torture de l'Inquisition. Florence, ville des peintres, des fêtes somptueuses et raffinées, des grands architectes et des intrigues plus sophistiquées les unes que les autres, vit follement jusqu'au jour où le corps de l'assistant de Raphaël est retrouvé dans le sémaphore de leur hôte, le Signor Taddei. Qui l'a tué et pourquoi? Un morceau étrange de pierre noire et une maquette de papier vont être l'origine d'une cascade d'évènements des plus mystérieux et des plus sombres.
Machiavel, secondé par Pasquale, jeune apprenti peintre obsédé par la transcription du sourire d'un ange, mène l'enquête dans les méandres des cloaques florentins. L'heure est grave car de la visite du Pape dépend la paix entre Rome et Florence, la rivalité entre l'Italie et l'Espagne est à son paroxysme tandis que les Savonaroliens fomentent une rébellion.
Machiavel, tel un Sherlock Holmes d'avant-garde, suit les traces d'un magicien avide de pouvoir, d'un prélat parent de Laurent de Médicis et de sbires montés sur échasses lanceurs de boules mortelles. Au large, la flotte espagnole commandée par un certain Cortès, qui n'a pu débarquer sur les côtes du Nouveau Monde en raison de l'alliance des Indiens et des Florentins, prépare le blocus de Florence....toile de fond inquiétante des intrigues et rebondissements de cette enquête hautement dangereuse.
McAuley revisite l'Histoire et donne une autre dimension aux personnages historiques, protagonistes d'un roman policier échevelé, en pleine uchronie. Les moindres détails sont soigneusement ciselés, donnant la sensation d'être au coeur de la machination et aux côtés de Niccolo Machiavel et Pasquale: la vie quotidienne, les ruelles, les places, les senteurs et bruits de la cité, les techniques des peintres s'offrent au lecteur.
"Les conjurés de Florence" est aussi un roman d'apprentissage: Pasquale apprend beaucoup avec Machiavel et Le Grand Ingénieur sur la nature humaine et l'organisation du monde (et si la guerre se révélait être la forme la plus sophistiquée de la politique? comme l'affirme Machiavel).
Un roman fourmillant, très bien documenté (ce qui permet de déformer l'Histoire avec brio), à l'intrigue parfois compliquée mais au rythme haletant où les longueurs permettent de respirer et reprendre son souffle. Une uchronie plaisante qui avec les si et les peut-être aborde l'Histoire par des chemins de traverses....l'Histoire et ses hasards sont très ténus.

Roman traduit de l'anglais (GB) par Olivier Deparis et Marie-Catherine Caillava.