Enfance dans la guerre

Publié le 06 juillet 2008 par Chatperlipopette

Le Liban, une famille de la grande bourgeoisie, un père libanais, une mère française, une petite fille. La guerre sourd puis éclate, faisant voler en milliers d'éclats la vie d'autrefois. La petite fille a grandi entre la pudeur musulmane et la liberté européenne, entre le foyer féminin et l'école où apprendre est une fenêtre ouverte sur l'ailleurs et le monde. La grande maison familiale se meurt lentement sous les bombes, appeurée par les snipers, désarçonnée par la montée de l'intransigeance, le reniement des amitiés anciennes entre voisins de confessions différentes et alors sans antagonisme. Le chaos de pierres, de poussières, de corps et de sang au milieu duquel s'avance la narratrice du haut de ses quinze ans, du haut de sa jeunesse, de son adolescence fière, invincible et éternelle. Quelques années auparavant, sa mère quitte le foyer conjugal pour repartir en France, dévastant le coeur du père qui ne s'en remettra pas. Elle grandit en marge de la famille, savageonne attachée à la liberté d'aller à l'école, au lycée, frondeuse insouciante parmi les ruines fumantes de la cité.
A-t-elle peur des snipers? Oui...et non: elle ne court pas afin de ne pas paraître une victime désignée, afin de braver les sentiments du tireur embusqué, peut-être lui rappelera-t-elle une soeur, une mère, une petite amie.... Chaque jour, sur le chemin du lycée, elle s'arrête reprendre son souffle et son courage dans les ruines d'une église. Chaque jour, elle y prie à sa manière. Chaque jour, elle y puise courage et volonté de vivre. Puis, un matin, elle rencontre un homme, un étranger: combattant? Européen? Journaliste? Il semble appartenir aux deux dernières catégories. Un lent apprivoisement voit le jour: ils apprennent à se connaître, à se jauger, à estimer le degré de confiance qui peut naître entre eux. La narratrice est un elfe aérien dans sa robe verte, verte de liberté, d'effronterie, par-dessus son pantalon en treillis et ses bottes de marche. Au fil des semaines, des mois, elle découvre le maniement des armes, le désespoir des réfugiés, la misère des camps palestiniens, la révolte devant tant d'injustice et de sang inutilement versé. Elle découvre, surtout, l'amour pour un homme, l'envie de lui appartenir, de lui offrir le plus intime des trésors. Las, les chimères dévoilent toujours leur véritable visage, laissant, sans regret, de profondes et terribles blessures invisibles, certes, mais diablement réelles.
Yasmine Char avec "La main de Dieu" offre un récit d'une force romanesque saisissante: elle nous raconte l'histoire d'une petite fille qui ne sait comment grandir, elle qui n'a plus sa mère, qui ne voit qu'un père dépressif et larmoyant, qui ne côtoie que des tantes et des oncles enfermés dans leur culture intransigeante. Une jeune fille tiraillée entre deux cultures, deux modes de pensée, deux mondes; une jeune fille qui ne vit qu'entourée de violence, de terreurs et de haine. Yasmine Char raconte les horreurs d'une guerre fratricide, d'une guerre qui de cessez-le-feu en reprises de conflits durera près de vingt ans! Vingt ans de souffrances, de sang, de jeunesse souillée par les armes, l'idéologie ou les viols. La main de Dieu, celle qui scelle les destins, celle qui protège, celle qui punit, affleure le récit, titille le décor des camps de réfugiés ou celui de l'appartement de cet homme étranger, mystérieux et manipulateur. La main de Dieu n'est jamais bien éloignée de celle du Diable....qui dépose dans les mains de la jeune fille une arme et magnifie son rôle de tueuse, qui la fait traverser chaque jour la ligne de démarcation entre les zones musulmane et chétienne.
Un roman où les émotions sont intenses, violentes et où la poésie apparaît au moment le plus inattendu, déroutant le lecteur tout en le charmant.

"J'ai quinze ans. Je traverse la ligne de démarcation. C'est comme un film muet, pellicule noir et blanc. Noires les boutiques calcinées, blanc le soleil du Liban. J'imagine que le franc-tireur est humain. Je marche en souriant pour qu'il ne tire pas. Je prie pour qu'il ait une mère, une soeur ou une fiancée. N'importe quelle image tendre qui puisse s'interposer de manière fulgurante entre lui, l'oeil du chasseur, et moi, la tête du chassé." (p 10)
"J'imagine l'histoire de mon enfance, elle n'existe pas. Il n'y a pas de départ avec une ligne droite. Il y a des taches qui remplacent les pointillés. Une certitude. Je me souviens de cette folie partout dans mon enfanc où j'ai grandi: dans la maison blanche, dans le départ de ma mère, dans le chagrin de mon père, dans la guerre. Je me suis trompée. Mon enfance c'est peut-être alors une seule grande tache avec ce fil conducteur qui expliquerait pourquoi elle est partie, pourquoi il se meurt, pourquoi les gens s'assassinent." (p 12)


Livre lu dans le cadre du Prix Landerneau 2008



le billet de Michel Edouard Leclerc ICI