des fois le matin
lorsqu'aucune alarme ou rendez-vous auroral
ne nous bouscule
je me réveille à ses côtés
et s'il me voit
il me gracie de son sourire bienveillant
le sourire est le langage qu'il pratique le plus souvent
alors que nos visages s'aimantent
et avant que nos corps ne s'agitent
et s'ébruitent
je me colle la joue contre son épaule
et flatte son plastron
comme on flatte le chat brooklyn
son torse est touffu
et couvert d'une toison qui n'est pas
fine comme le duvet du poussin
ou comme la fourrure du lapin
elle est frisée et abrasive
et c'est par là que l'homme qui mûrit
devient d'abord grisonnant
je remarquais juste récemment
qu'il était velu jusqu'aux jambes
d'un poil doux et bien plus noir
nous les femmes n'avons pas cette pilosité
et je ne sais pas à quoi elle sert
sinon qu'à être caressée
dans l'inaudible bruissement des draps
dans la pénombre de notre chambre forte
que peinent à fendre les rais du soleil
ses tentacules me happent et m'emprisonnent
et nos muscles meuvent nos corps
centimètre par centimètre
sans aucune logique géométrique
sans agression ni hâte
ils se frottent se collent et se malaxent
ses membres s'imbriquent en moi de mille et une façons
nos corps se réveillent pour donner la vie
et malgré la force céleste qui nous anime
jamais mes os ne se fracassent sous son poids
jamais nos fronts soudés ne s'abiment d'ecchymoses
jamais ses phalanges ne saignent sous mes dents
avec l'art du sculpteur
il modèle mon corps jusqu'à
ce qu'il devienne une marée d'extase
et lorsqu'il se dresse sur moi
fort et large comme un minotaure
je me réjouis et je me dis
que j'aime tant cet homme
solide comme le roc
doux comme les algues
et je sais que si nous célébrons ensemble
cette semaine son anniversaire
pour une dix-huitième année
que si nous sommes encore partenaires dans cette vie
que nous traversons les jours et les années en paire
c'est parce que nous pratiquons encore
ce langage qui nous a liés il y a si longtemps
le plus ancien de tous
en répondant à l'unisson
au cri des oies
au chant de la terre.