C'est tellement merveilleux de répondre par des mots aussi forts que libération, amour sans condition, paix inébranlable, bonheur infini et autre nirvana... Cela fait miroiter un goût de paradis, comme une publicité mensongère : "Achetez cette voiture et vous connaîtrez le grand bonheur (avec une femme merveilleuse à vos côtés)", ou "Buvez telle boisson et vous pétillerez d'énergie!"
C'est faire croire que l'ego peut connaître cela, peut envisager la chose! Cela semble très attirant, mais je m'insurge en faux.
Celui qui s'engage sur la voie dite spirituelle ne connaîtra jamais ce dont parlent tous les livres de sagesse. Pourquoi? Parce qu'il y a un passage obligatoire qui est la mort de l'ego.
L'ego peut croire, rêver, espérer tout ce qu'il veut, mais il ne connaîtra jamais le grand but qui est justement sa disparition. C'est, par définition, impossible. Celui qui désire par dessus tout la libération devra réaliser un jour que tout ce qui est désir, même subtil, est un effet de l'ego, d'une volonté déguisée, et par là même un empêchement.
On ne peut pas arrêter de vouloir non plus, ce qui est aussi une forme de volonté, et donc d'ego. Mais alors que faire, me direz-vous, ou sans doute quelques uns? Rien, juste voir cela qui se trame en nous, observer ce qui se passe sans prendre parti. Voir, c'est prendre du recul, c'est apprendre le détachement, c'est ne plus alimenter son tempérament de base avec tous ses mécanismes. C'est le début d'un lâcher prise. La mort de l'ego, ou la mort à soi-même, c'est le lâcher prise total et permanent, l'abandon sans discussion aucune à la vie. Ce que l'ego ne peut concevoir bien sûr, et ce qui ne se décide pas non plus. Dire : "Je lâche prise" témoigne encore d'une certaine prétention. Le détachement vise l'impersonnel, il ne peut en être autrement.
Il serait peut-être plus juste de promettre les difficultés sur la voie, les vérités qui dérangent, les émotions qui s'accroissent, les peurs, les croyances à perdre, tout à perdre d'ailleurs. On n'a aucune idée du résultat, ni dans quel état on sera. Par contre une pratique sincère amènera inévitablement des résultats : de moins en moins de peurs, de tensions, de refus, de plus en plus de paix. Sentir cela est déjà beaucoup, selon là où on est parti, et l'on se sentira redevable, remerciant.
En tout cas il faut apprendre ou se préparer à mourir, plutôt que de rêver d'une libération. Peut-être certains goûteront à cette expérience, même si elle n'est pas définitive, qui laissera un goût indicible dans leur être. Nous ne décidons de rien, de rien du tout, ni de vouloir quoique ce soit, ni de s'abandonner. C'est une histoire d'usure, de confrontation à l'inéluctable, jour après jour...
Arnaud Beltrame